Les meilleurs films de 2022 [TOP]

Des chevaliers costumés, des enquêtes intenses, de l’animation en volume, des extraterrestres, de l’horreur ordinaire, des heureux hasards : le septième art s’est montré pour le moins généreux, riche et surprenant en cette année 2022.
Voici notre sélection des dix meilleurs longs-métrages (et quelques mentions honorables) sortis dans les salles obscures, sur les plateformes ou directement dans les bacs à DVD en cette belle année de cinéma.
LE TOP DE JACK :
Mentions honorables
- Avatar : La Voie de l’eau, de James Cameron
- L’Innocent, de Louis Garrel
- The Medium, de Banjong Pisanthanakun
10. Les Nuits de Mashaad, de Ali Abbasi

Iran, 2001. La ville sainte de Mashhad est frappé par une vague de féminicides. Pour retrouver le tueur en série, une journaliste de Téhéran s’enfonce dans les quartiers les plus malfamés. Les Nuits de Mashhad, dont les influences américaines se lisent dans la mise en scène, pourrait s’en tenir à ce point de vue pour dénoncer l’horreur d’une société misogyne. Mais Ali Abbasi découpe son scénario en deux angles de même importance, pour lier les extrémités de l’enquête et alourdir le bilan : d’un côté, la femme en lutte permanente contre le système ; de l’autre, le bourreau persuadé d’agir pour le meilleur. Le réalisateur laisse derrière lui le fantastique de ses précédents films pour un thriller ancré dans une réalité glaçante, livré comme un état des lieux d’une noirceur abyssale. L’actrice franco-iranienne Zahra Amir Ebrahimi, repartie de Cannes avec le Prix d’interprétation féminine, n’a pas volé sa récompense.
9. Les Banshees d’Inisherin, de Martin McDonagh

Sur une île fictive située aux larges des côtes irlandaises, où tout le monde est bien forcé de se connaître, deux compères de toujours sont dans une impasse : l’un d’eux met fin brutalement à leur amitié. La raison de cette rupture, Martin McDonagh la garde mystérieuse – tout comme la possibilité étonnante qu’un lien ait déjà existé entre les deux gaillards – et, sur cette base simpliste, monte une fable noire à l’inspiration beckettienne, développant par l’absurde une réflexion sur le monde, la condition humaine, le temps et autres sujets de gravité. Fort de ses dialogues théâtraux et de son décor à l’écho surnaturel, Les Banshees d’Inisherin doit beaucoup à ses comédiens. Brendan Gleeson (le plus philosophe) et Colin Farrell (le plus prosaïque) livrent de formidables performances pour cette querelle aux proportions de guerre civile dans ce village réduit. À l’autre bout de la mer, grondent les canons d’un conflit réel, que personne ne s’explique vraiment.
8. Pinocchio, de Guillermo del Toro

Il fallait au moins Guillermo del Toro pour nous faire oublier l’épouvantable Pinocchio de Robert Zemeckis, une atteinte à l’imaginaire commanditée par l’infâme Disney. C’est au tour du réalisateur mexicain de sculpter à sa manière le roman de Carlo Collodi, autrement dit sombre, fantastique, implantée historiquement et larmoyante. Sublimée par le choix d’une animation en volume, cette version du conte fait de la marionnette éponyme une figure paradoxale et totale : un électron libre allant à contre-courant d’un monde régis par des hommes stricts, eux-mêmes jouets d’instances qui les dépassent. Del Toro raccroche les wagons avec ses films précédents (Le Labyrinthe de Pan et L’Échine du Diable), dégomme le système fasciste avec la poésie qu’on lui connaît, traite le deuil si fort qu’il fait de Geppetto un vieillard ivrogne depuis la mort de son enfant, et accouche de l’une de ses œuvres les plus complètes.
7. Contes du hasard et autres fantaisies, de Ryūsuke Hamaguchi

L’an passé, il signait un long-métrage d’une grâce infinie, le bouleversant Drive My Car. Ryūsuke Hamaguchi n’a pas chômé et revient poser des images sur ses dialogues merveilleux de justesse. Sous son appellation lyrique, Contes du hasard et autres fantaisies précise en trois petites histoires individuelles la beauté de la parole, son rôle libérateur et son pouvoir magique : connecter le passé et le présent. Le cinéaste témoigne, une fois encore, de ses dons pour croquer les individus et leurs micro-particularités, leur imagination aussi, et chaque rencontre fait l’effet d’une bombe émotionnelle, parfois à retardement. Le hasard du titre, quant à lui, n’est pas que référence à Eric Rohmer. Il apparaît comme le fil rouge de ces scénarios courts, où la coïncidence est finalement l’unique rebondissement. Le cinéma japonais dans tout ce qu’il a de plus tendre, noble et sincère.
6. Nope, de Jordan Peele

Pour son troisième opus, l’ex-humoriste Jordan Peele change l’angle de sa caméra pour quelque chose de plus large. Dans les nuages de Nope, se cache une soucoupe volante, un objet mystérieux, agressif, persécutant une famille d’éleveurs de chevaux isolée dans le désert californien. Un miroir tendu aux Dents de la Mer, où le requin est une entité extraterrestre nageant dans une mer céleste. Peele entend jouer dans la même cour que le géant Spielberg, revoyant sa mise en scène pour atteindre la fluidité de ses blockbusters et sa gestion mythique du hors-champ, car pour la première fois, le réalisateur fait du divertissement sa priorité – et celle de ses protagonistes. Une quête du plan parfait qui, à défaut de les soulager de l’oppresseur venu d’ailleurs, leur permettra de fuir en devenant des célébrités. Le cinéaste affirme ici la puissance de l’enregistrement photographique, de l’image cinématographique, du money shot.
Vous pouvez retrouver la critique du film ici.
5. Leila et ses frères, de Saaed Roustayi

Leila et ses frères se trouve à mi-chemin entre Le Parrain et Parasite, deux monuments séparés par quarante cinq ans de cinéma, mais cordés par un contexte historico-social de taille et le sujet : une famille enterrée par la tragédie. Dans un pays rongé par la crise économique et le patriarcat, Saaed Roustayi semble réanimer les personnages de Bong Joon-ho, des survivants qui ne désespèrent pas changer de vie entre deux chamailleries, tirés vers le haut par une sœur consciencieuse. C’est elle, l’héroïne de cette comédie noire qui mute en drame étouffant, une jeune femme à contresens de son macrocosme, allant jusqu’à lutter contre le patriarche – le plus têtu des membres de ce foyer –, elle qui ne peut voler de ses propres ailes. Pour le metteur en scène, qui signe seulement son troisième long-métrage, il s’agit d’ausculter (après La Loi de Téhéran) la société iranienne d’un autre angle, par un récit fleuve. Il freine sa réalisation nerveuse pour se positionner à hauteur d’hommes et ne rien manquer des débattements d’une fratrie déterminée.
4. As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen

Sur le modèle des Chiens de Paille et de Délivrance, ces piliers de l’ultra-violence outre-atlantique, As Bestas fait du fossé culturel une porte vers l’horreur. D’abord disséminée dans le dialogue, seul rempart entre un couple de français venu emménagé dans la campagne galicienne et leurs nouveaux voisins au comportement hostile, celle-ci prend une tournure démente lorsque les mots ne sont plus d’aucun recours. Chaque scène plus anxiogène et brutale que la précédente, nos personnages se rapprochant dangereusement (et inéluctablement) du point de non-retour, Rodrigo Sorogoyen met en scène ce drame rural à la manière d’un western. Sans colt ni chapeau de cow-boy, mais avec de puissants comédiens empêtrés dans la boue et une maîtrise du découpage effrayante d’efficacité. Le plus grand film d’horreur de l’année est espagnol.
3. Decision to Leave, de Park Chan-wook

Decision To Leave pique à Basic Instinct son ambiguïté, se réapproprie le motif du voyeur tel que l’a sublimé Hitchcock, mais le metteur en scène coréen Park Chan-wook ne fait pas dans le recyclage pur et dur : il combine à ses influences revendiquées sa science de la rupture, confondant les registres et les tons, et une logique de mise en scène implacable. Dans ce thriller psychologique, les séances d’interrogatoires ont des accents de comédie romantique, l’intrusion s’apparente à un rêve éveillé, le suspens est étranger au meurtre. La confusion des genres et de l’espace est celle des personnages, engloutis par leurs sentiments, leurs contradictions, avalés par un jeu insidieux qu’ils ont initié entre deux sourires inappropriés. Ils s’embourbent, sans avoir la force de lutter contre cette attirance proscrite ni même, au fond, vouloir s’en désister. Et l’on succombe avec.
Vous pouvez retrouver la critique du film ici.
2. The Green Knight, de David Lowery

David Lowery fait le pari d’adapter Sire Gauvin et le Chevalier vert en conservant la sève lyrique du texte médiéval et son versant fantastique. The Green Knight regroupe ainsi animaux parlants, géants, fantômes et autres paraboles ambulantes, selon l’œuvre littéraire, et enfin ce chevalier végétal qui donne son titre au long-métrage. Une force émeraude et surnaturelle à laquelle s’oppose Gauvain et qui trahit ses fêlures. Car notre héros n’en est pas (encore) un, et c’est ce qui intéresse Lowery : déconstruire la quête chevaleresque telle qu’on l’a connaît. Son protagoniste est un homme craintif, vulnérable, souvent naïf, magnifiquement interprété par un Dev Patel capable d’exprimer ses doutes, ses appréhensions et échecs avec si peu. L’héroïsme n’a d’ailleurs pas sa place dans cette épopée belle à en perdre la tête qui, prenant à revers légendes et poncifs, mesure la qualité de l’homme à sa lâcheté et non ses faits d’armes.
Vous pouvez retrouver la critique du film ici.
1. The Batman, de Matt Reeves

Il y a un peu de Scorsese, de Coppola et de Gray dans cette version poisseuse de Gotham, mais s’il est une œuvre que The Batman réinvestit complètement, c’est bien le Seven de Fincher. Même atmosphère crasse, même pluie incessante, même iconographie de la violence et soin de la scène de crime. Face à un tueur en série obsédé, le chevalier noir se lance dans un jeu de piste avec ses énigmes, ses indices cryptiques et sa dose de suspens, l’ensemble formant une enquête aussi trépidante qu’élémentaire à la mythologie du super-héros qui, enfin sur grand écran, mérite son statut de détective. Un polar costumé sous influence, donc, qui traite Bruce Wayne (Robert Pattinson est merveilleux sous le masque) comme l’héritier de Dracula et Kurt Cobain, un nihiliste évitant la lumière du jour autant qu’il le peut. The Batman confronte les troubles du vigilante comme nul ne l’avait fait et, de surcroît, se paye le luxe d’être le film Batman le plus esthétiquement ébouriffant.
Vous pouvez retrouver la critique du film ici.