Glass Onion, une suite tranchante [Critique]

Toujours aussi futé quand il faut remodeler le whodunit et moquer les riches d’aujourd’hui, Rian Johnson livre une suite frénétique et captivante à Knives Out.
Le célèbre détective privé Benoit Blanc part pour la Grèce après avoir reçu l’invitation d’un milliardaire excentrique. Sur place, un mystère à élucider et des suspects particuliers.
Quelques centaines de millions de dollars cumulés, une nomination à l’Oscar du meilleur scénario original et une réception critique positive ont fait de Knives Out (rebaptisé À couteaux tirés par chez nous) une franchise en devenir. Rien de surprenant à une heure où l’on duplique le moindre produit à succès, mais il restait à savoir si la supercherie de Rian Johnson pouvait tenir sur au moins deux films supplémentaires, cette fois commandés par Netflix. La réussite du premier opus reposait entièrement sur la ruse de son auteur, qui transgressait les règles du Cluedo pour remuer le genre du whodunit en profondeur. Une belle entourloupe, au casting quatre étoiles, dont Johnson reprend le second degré, l’acidité et le personnage principal, fil conducteur désigné de la saga. Nouveau meurtre, nouvelle enquête pour le détective privé Benoit Blanc, invité sur l’île privée d’un milliardaire excentrique pour une murder party en pleine crise sanitaire. Comme le film originel, Glass Onion se saisit de l’actualité pour monter son affaire. Après avoir raillé l’Amérique de Trump en s’immisçant dans le manoir d’une famille bourgeoise, Rian Johnson mise sur la pandémie récente pour (dé)masquer sa galerie de personnages, des ultra-riches aux ultra-névroses qui percent la bulle du confinement dès qu’on leur demande. Et ce qui aurait eu facile d’être le postulat idéal – des personnalités forcées de rester cloîtrer car la planète tremble – n’est au final qu’un premier avertissement quant à leur déconnexion de la réalité. Dans cette foire de gens friqués, certains ont un pied en politique, d’autres sont des vedettes d’Internet, d’autres encore se battent pour rester en couverture des magazines, mais tous se font la représentation de la célébrité moderne, des « influenceurs » clamant vouloir transgresser le système quand ils en sont les pions, que Rian Johnson épingle dans cette structure de verre qui donne son nom au long-métrage et dont l’architecture renvoie à la fausse complexité de ses locataires. Si l’auteur de Looper n’a pas son pareil pour ridiculiser son monde, il entend aussi triturer les préceptes du polar sur une base identique au volet précédent, en jouant des perspectives, des dynamiques et de son argument principal, le plus redoutable : Daniel Craig.
L’acteur britannique a troqué le smoking de James Bond pour des chemises en lin, a récupéré l’élégance kitsch d’Hercule Poirot et la déprime de Sherlock Holmes entre deux parties d’Among Us, et refait son numéro d’enquêteur avec un aplomb saisissant. Drôle, puisque perturbateur (bien davantage que ceux qui se renomment « fauteurs de trouble »), son personnage fait souffler à lui seul un vent de fraîcheur sur le genre, mais Johnson ne s’arrête pas aux fanfaronnades du détective pour renverser le plateau de jeu. De twist en fausse piste, le réalisateur superpose les mystères, change de point de vue en cours de route, dissimule grâce au montage, bouscule la forme classique de l’enquête policière si bien que Glass Onion gagne en lucidité autant qu’en pertinence, et paraît tendre la main à son spectateur en l’impliquant dans le processus de théorisation. La mise en scène sobre mais pointilleuse finit de semer le trouble lors du coup de théâtre final, un ultime acte anarchique vendu comme le meilleur moyen de faire s’effondrer le royaume des millionnaires, où ceux-ci n’ont d’autres alternatives que d’assumer leurs sombres secrets et rapports de force délétères. Le casting n’aurait pu mieux convenir pour assumer tant d’idiotie et de cabotinage. Kate Hudson joue les top-modèles addicts aux tweets scandaleux, Dave Bautista campe un défenseur du port d’armes, Kathryn Hahn cède ses mimiques pédantes à une politicienne aux dents longues, mais la palme de la pitrerie revient sans hésitation à Edward Norton, copie à peine parodique des magnats qui régissent les entreprises technologiques, Hollywood et les réseaux sociaux. Quant à Janelle Monáe, discrète depuis Antebellum, cette dernière forme un duo délicieux avec Craig en Watson féminine, en plus d’incarner le propos social – pour ne pas dire l’appel à la révolution – dissimulé dans cet oignon cinématographique. Une suite frénétique et captivante que Johnson complétera d’un troisième chapitre avant de retourner (si tout se déroule comme prévu) à Star Wars.