The Green Knight, beau à en perdre la tête [Critique]

David Lowery offre une relecture sensorielle et écologique à la légende de Gauvain. Les récits arthuriens n’ont jamais paru si troublants.
Sir Gauvain, neveu du roi Arthur, se lance dans une quête périlleuse pour affronter le chevalier vert, être gigantesque mettant à l’épreuve le courage des hommes. Le voyage de Gauvain lui permettra de prouver sa valeur aux yeux de sa famille et de son royaume.
Par chez nous, la légende arthurienne s’apprécie en pantalonnades et simagrées, en format court et (de préférence) sur petit écran. Pour l’américain David Lowery, l’homme derrière le chef d’œuvre A Ghost Story, les contes de la table ronde partagent bien peu d’atomes – pour ne pas dire aucun – avec la farce franchouillarde façon Kaamelott. Le metteur en scène fait le pari d’adapter Sire Gauvin et le Chevalier vert, poème anonyme relatant une aventure du fameux chevalier, en conservant strictement la sève lyrique du texte médiéval et son statut fantastique. The Green Knight regroupe ainsi animaux parlants, géants, sorcières, fantômes et autres paraboles ambulantes, selon l’œuvre littéraire. Et puis, il y a ce chevalier végétal qui donne son titre au long-métrage, une merveille de maquillage et prothèses n’ayant rien à envier aux monstres du Labyrinthe de Pan, l’élément déclencheur. Une force émeraude et surnaturelle à laquelle s’oppose vaillamment Gauvain et qui trahit ses fêlures. Car notre héros n’en est pas (encore) un, et c’est ce qui intéresse Lowery : déconstruire la quête chevaleresque telle qu’on l’a connaît. Son protagoniste est un homme craintif, vulnérable, souvent naïf, torturé, magnifiquement interprété par un Dev Patel capable d’exprimer ses doutes, ses appréhensions et échecs avec si peu. Dans The Green Knight, tout piège est bon pour mesurer la fragilité du chevalier en herbe, engagé dans une épopée qui se dispense de fanfares et ne passe jamais par la case de l’épique. Malgré un bestiaire fourni (aux fortes allusions cinématographiques) et une flanquée de séquences à couper le souffle, le film se veut conte introspectif, jouant ses scènes – y compris lorsqu’elles sont enclines à l’héroïsme – à une échelle psychologique. L’héroïsme n’a d’ailleurs pas sa place chez Lowery qui, prenant à revers légendes et poncifs, mesure la qualité de l’homme à sa lâcheté et non ses faits d’armes.
Dans ce monde à l’étrangeté inquiétante, The Green Knight maintient ce qu’il peut à l’état brumeux. Son roi Arthur, pas une seule fois nommé et visage blafard, n’est guère plus rassurant que les spectres qui croisent la route sinueuse de Gauvain. Pour garantir l’inconfort, le cinéaste entretient un rapport à la matière, à la rugosité et l’impalpable, qui se ressent jusque dans les sonorités employés par Daniel Hart, entre crépitements, craquements et cordes frottées dignes d’une production d’Ari Aster. Les courtes focales s’attardent parallèlement à transcender les paysages du royaume de Logres, austère mais dont les étendues boisées attisent un désir d’aventure de plus en plus prononcé. Contrairement au statique A Ghost Story, David Lowery multiplie ici les plans à la steadicam. Le flottement de sa caméra surligne l’onirisme ambiant tout comme il alerte des dangers environnants, ou marque le poids du temps. En un travelling circulaire, le long-métrage fait passer les jours, les semaines, peut-être les mois, ramenant l’homme à la terre, sans chair, sans nom. Une autre représentation de la position ridicule de l’être humain face à la nature, finalement gagnante de tous les combats – bilan placardé par un monologue de trop, en milieu de film – et dont le chevalier vert se fait l’étendard. Telle une divinité, immortel bourreau et juge, il remet en cause l’honneur et le prétexte qu’il incarne, invoqué pour justifier toutes les folies de l’homme. Voilà certainement pourquoi David Lowery baptise son œuvre selon la créature fantastique et non son héros en devenir : le chevalier vert n’est autre que le début, le milieu et la fin de l’histoire, à l’instar d’une nature qui nous précède, nous porte et nous survivra.