Les Soprano : les meilleurs épisodes de la série [TOP]

De l’hilarant Pine Barrens au déprimant Made in America, retour sur les dix plus belles heures du monument Les Soprano, la série qui établit les nouvelles règles de la télévision.
Tout commence par l’arrivée de canards aux abords d’une piscine dans le New Jersey. Une péripétie de presque rien, à ceci près que les volatiles mettent le feu aux poudres (de la télévision) en débarquant chez Tony Soprano. En les voyant s’envoler, ce parrain de la pègre locale s’effondre sur le sol, victime d’une crise de panique, un incident l’amenant à consulter une psychiatre et, dans le cadre de sa thérapie, révéler les dessous de ses activités. Mais pas que. Ses angoisses, ses crises familiales, ses déboires libidineux : tout ce qui constitue son existence de gangster débonnaire passe au crible. C’est ainsi que démarre la série télévisée la plus déterminante de notre ère, caractérisée par ses personnages d’une ambiguïté totale, l’ambivalence de son écriture, ses coups de génie esthétiques, son souci d’authenticité mais aussi sa narration novatrice, portée sur le tabou de la dépression.
L’histoire tortueuse, dense, historique, autobiographique et un brin œdipienne des Soprano devait à l’origine remplir un long-métrage, avant que David Chase ne décide de l’adapter sous la forme qu’on lui connaît. Des envies de cinéma qui ont vraisemblablement précisé les contours de la série : chacun de ses quatre-vingt-six épisodes s’apparente à un moyen-métrage fonctionnant selon ses propres règles. Et si leurs intrigues finissent bien par se répondre, composant un récit-fleuve d’une rare intensité, il apparaît que la formule faussement anthologique choisie par Chase lui accorde une mobilité thématique et visuelle extraordinaire, dont héritent certains des futurs seigneurs du petit écran, de Terence Winter (Bordwalk Empire) à Matthew Weiner (Mad Men). Vingt ans plus tard, l’influence du show est sans égal – en particulier chez HBO, qui aura fait du « cinéma sur petit écran » sa spécialité.
Voici notre classement des meilleurs chapitres de la saga Soprano, celle qui révèle ce que les films de Scorsese ne montrent pas. You woke up this morning…
10. Amour fou (Saison 3 – Épisode 12)

Il lui aura fallu une quarantaine d’années et les conseils d’une thérapeute pour prendre conscience de l’emprise exercée par sa mère et des répercussions sur son comportement. Lui-même ne se l’avoue pas (et ne se l’avouera jamais), mais Tony Soprano est un amoureux des tempêtes sentimentales, un accro aux relations brûlantes, reproduisant les mêmes schémas épineux à la chaîne – même après que la matriarche ait rendu l’âme. Disparue au début de la troisième saison, cette dernière refait surface par l’intermédiaire de Gloria, une femme en qui s’incarnent les péchés du gangster : une maîtresse séduite par sa nature violente, au caractère possessif et indomptable, certainement trop. Lorsque la jeune femme se rapproche dangereusement de Carmela Soprano dans Amour fou, prenant le risque de froisser la frontière entre ses deux familles – celle du sang et celle du crime organisé –, Tony se métamorphose en monstre de rage, plus furieux et terrifiant qu’il ne l’avait jamais été jusque-là, et s’en prend physiquement à celle qui partageait officieusement son lit. Le protagoniste confirme ainsi sa peur terrible de voir ses mondes s’effondrer en se percutant.
9. Funhouse (Saison 2 – Épisode 13)

Si la série n’a aucun mal à faire allusion à ses modèles cinématographiques par le dialogue, entretenant une intertextualité assumée avec Le Parrain et autres monuments du genre, elle s’en est également détachée en revendiquant un hyper-réalisme expressément moderne. C’est ce qui fait finalement son charme : le franc-parler de ses acteurs, l’absence de paillettes et la morosité ambiante, à mille lieux des feux d’artifice promis par le cinéma. Mais Les Soprano compte quelques twists marrants, adéquats pour briser ses conventions et ainsi tâter des terrains plus spéciaux. Parmi eux, le subconscient des mafiosi, dans lequel David Chase aventure sa caméra sporadiquement pour en extraire d’autres lectures, plus intimes, plus absurdes. Funhouse en fait une démonstration éloquente, un épisode où le chef Soprano assimile la trahison d’un vieux copain en communiquant avec des chimères. Au réveil, retour à la dure réalité.
8. Blue Comet (Saison 6 – Épisode 20)

Toutes les bonnes choses ont une fin. Les pires également. Blue Comet fait prendre son ultime virage à la série : la guerre contre New York est officiellement lancée, les balles pleuvent sur des tronches familières, les Soprano sont acculés, forcés de se terrer. Pour son avant-dernière heure, le show ravale ses laïus philosophiques et ses mauvaises blagues pour un développement on ne peut plus viscéral des événements. Pour preuve : l’assassinat raté de Phil Leotardo, risible sous bien des aspects, se passe de cynisme et prive le public du réconfort de l’humour face à la brutalité du geste meurtrier. Cependant, le coup le plus dévastateur n’implique aucune arme à feu et s’exécute loin des bars à truands. La psychiatre Jennifer Melfi met un terme à la thérapie de Tony Soprano, refusant à son patient ses introspections quotidiennes – qu’elle considère comme un encouragement à ses agissements sociopathiques – et donc à toute forme de paix. Une sorte de punition psychologique, et une sortie poignante pour l’unique personnage qui semblait comprendre le parrain du New Jersey.
7. The Knight in White Satin Armor (Saison 2 – Épisode 12)

En matière de mise à mort imprévisible, Game of Thrones est loin d’être le seul programme à avoir fait les belles heures de la chaîne HBO. Le scénario était pourtant sur des rails : depuis sa sortie de prison, Richie Aprile n’avait eu de cesse de contester l’autorité de Tony et s’imposait comme un antagoniste logique – et pourquoi pas durable, au vu de ses motivations et de son lien privilégié avec la famille Soprano. Les scénaristes ont tenu à souligner la spontanéité dangereuse de leurs personnages et l’omniprésence de la violence dans leur milieu, y compris au sein du foyer, en supprimant Richie avant l’altercation tant attendue. C’est finalement Janice, sa compagne et future épouse, qui le tue après la dispute de trop. Un coup de théâtre qui préserve son frère d’une guerre annoncée comme inévitable et qui expose la complexité des protagonistes, à commencer par Tony, désireux d’étouffer les dilemmes des femmes de sa vie (ici en maquillant le meurtre commis par sa frangine) sans songer à régler les siens.
6. Made in America (Saison 6 – Épisode 21)

Quand bien même le reste est brillant, l’essentiel de Made in America tient dans ces quatre minutes musicales qui précèdent la fin, générique inclus – le dernier, et le plus plombant. Tout du long, le show s’est posé la question du rêve américain, a retourné le sujet dans tous les sens, l’a dressé en fantasme inaccessible, l’a dénoncé comme une farce immonde, un truc aussi fané que le pays. Tout du long, Tony Soprano y reste accroché, y voyant le symbole parfait de la réussite, d’un accomplissement, pourquoi pas d’une rédemption. Un paradoxe au cœur de la série. Celle-ci n’aurait pas pu mieux synthétiser l’american dream qu’avec la fameuse séquence finale, qui voit la famille éponyme se retrouver pour déjeuner au restaurant. Un rituel ancestral pour ces descendants d’immigrés italiens. La mise en scène de David Chase donne presque dans l’onirisme, sublimant l’attente, la tendresse du moment, tandis que le montage tranche les mouvements, surprend par la coupe, jusqu’à la dernière, abrupte et violemment silencieuse. De réponses, il n’y en a pas vraiment, si ce n’est ce paradoxe saisissant : une scène de bonheur arrangée comme un thriller paranoïaque, ou l’impossible conciliation des vies de Tony Soprano, dont seuls les yeux connaissent la vérité.
5. Whoever Did This (Saison 4 – Épisode 9)

Le destin du trublion Ralph Cifaretto était bouclé depuis belles lurettes. Son excentricité maladive, illustrée en excès colériques et tirades cinéphiles, constituait une épée de Damoclès beaucoup trop imposante pour espérer survivre dans l’écosystème Soprano. Whoever Did This honore le contrat tacite passé avec le spectateur : après deux saisons d’insubordination, le rouquin le plus fou de la bande est battu à mort, mais la série refuse étonnament d’en faire un rebondissement cathartique. Avant qu’il ne disparaisse pour de bon, la vie de Cifaretto vire au drame complet, un déraillement imprévisible et interminable qui présage un début de rédemption pour le gangster. Au dernier moment, Les Soprano prend son public de court en déplaçant les curseurs moraux : les mains punitives de Tony, autour du cou de ce pauvre Ralph, perdent ce qu’elles incarnent de juste et le chef de famille revêt la panoplie allégorique du diable, qui allait si bien à sa victime.
4. Pine Barrens (Saison 3 – Épisode 11)

L’ombre des frères Coen plane significativement sur Pine Barrens. Il y a d’abord ces (anti-)héros régis par leur incompétence, pas fichus de contenir leurs pulsions et encore moins de « finir le boulot » correctement. Il y a cette succession de scènes désopilantes, où l’échec répété des protagonistes fait tourner la machine comique à plein régime. Il y a aussi la neige, le décor blanc de Fargo, place métaphorique donnant à réfléchir aux personnages, sur leur lien avec la mort, entre autres. Un lieu coincé entre le paradis (pour sa beauté silencieuse) et l’enfer (car mortel), un purgatoire naturel. Derrière la caméra, la présence de Steve Buscemi sonne comme un euphémisme. Visage régulier du cinéma coennien et futur membre des Soprano à l’écran, le metteur en scène filme cette traque désespérée en insistant sur les arbres dégarnis, l’inconfort de la solitude, le nihilisme de ce spectacle timbré. Glissé dans la troisième saison, survenu sans crier gare, Pine Barrens est l’une des heures les plus délectables de la saga Soprano.
3. College (Saison 1 – Épisode 5)

Peu d’épisodes peuvent se flatter d’avoir ébranlé à ce point les assises du petit écran, et l’on pourrait affirmer, sans trop se tromper, que le chef d’œuvre de David Chase est né avec celui-ci. Au départ, cette parenthèse consacrée au voyage du père Soprano et sa fille (en route pour faire le tour des universités) avait tout d’une pause enchantée, loin des tracas professionnels du premier. Le hasard fait mal les choses : sur le chemin, Tony reconnaît un ancien associé ayant trahi son clan, et l’idée de se venger le hante jusqu’à ce qu’il exécute froidement le malheureux. L’obsession du protagoniste pour sa proie et son assassinat pénible (pendant que Meadow l’attend sagement dans la voiture) marque un tournant dans la série. Pour la première fois, la sociopathie de Tony Soprano n’est plus camouflée par sa mine nigaude, sa violence ne trouve aucune explication : le héros des Soprano tue à mains nues un vieil ami, face caméra, alors que rien ne l’y contraint. Les diaboliques Walter White, Frank Underwood ou encore Dexter Morgan peuvent le remercier. Sans cette action cruelle, l’avènement des anti-héros de télévision n’aurait pas eu lieu.
2. Long Term Parking (Saison 5 – Épisode 12)

Sa narration chapitrée, feuilletonnesque au départ, a d’abord poussé la série à cultiver les détails pour attester du temps, à semer délicatement les graines d’une évolution à long terme, au détour de mots anodins, de regards insistants ou d’inserts symboliques. Les personnages secondaires se sont faits les représentants des mouvements du monde mafieux, de ses ondulations funestes autour du roc Tony Soprano, qui lui ne figure d’aucun changement (du moins, en façade). Long Term Parking forme le point culminant de ce travail de fond et porte aux nues l’un des visages attachants, puisque vulnérable, de la bande : Adriana LaCerva, la jeune femme forcée de coopérer avec les autorités. Le titre pointe la tragédie de son destin, elle qui est comme garée pour toujours en dehors du système Soprano. Le show se décharge ici d’un magnifique personnage d’arrière-plan, parabole d’une naïveté et d’une sensibilité incompatibles avec sa famille de cœur, et qui plus jamais ne se feront ressentir. De l’autre côté, les criminels battent leurs remords à coups d’abnégation.
1. Whitecaps (Saison 4 – Épisode 13)

Une somptueuse résidence d’été, caressée par les remous de la mer. C’est elle qui donne son titre à l’épisode. Un bout du rêve américain. Un petit coin de paradis après lequel Tony Soprano a peut-être couru toute sa vie, d’où il pourrait reconsolider les liens familiaux, distendus par le temps et toute forme d’infidélité. Pendant une seconde, ses vœux paraissent s’exaucer. La suivante, il est déjà trop tard : les combines (amoureuses) du chef de famille lui reviennent au visage, dynamitant les fondations de son couple et donnant lieu à un concours de performances ahurissant. Les langues se délient après quatre longues saisons de désillusion, Edie Falco et James Gandolfini se livrent à un duel de révélations déchirant, et Les Soprano boucle sa quatrième saison avec un chapitre en or massif : celui où l’alchimie si évidente des acteurs porte ses fruits, où leur complicité cède sous le poids de la rancune et d’une frustration devenue anxiogène. Plus long épisode de la série, plus belle vitrine pour ses comédiens aussi.