Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, petit sorcier devient grand

Au cœur de cette énorme machine hollywoodienne qu’est devenue la saga Harry Potter, Alfonso Cuarón tire son épingle du jeu en offrant le plus fabuleux chapitre du monde des sorciers.
Après avoir conquis les librairies du monde entier et raflé des centaines de millions de dollars au box-office, la franchise (désormais cinématographique) Harry Potter passe un cap lorsque vient l’adaptation du troisième tome. Cette suite, présentée sous le nom du Prisonnier d’Azkaban, est en effet cruciale : elle marque autant le changement de ton du récit, dirigé vers des thèmes plus matures, qu’elle témoigne, au cinéma, de toute l’importance de l’auteur aux commandes. Pour cette nouvelle année à Poudlard, Chris Colombus cède sa place de metteur en scène au mexicain Alfonso Cuarón, un passage de flambeau qui chamboule quelque peu les fondations de la saga. Le Prisonnier d’Azkaban fait ainsi office de petite révolution pour la grosse machine Harry Potter, révisant à peu près tout ce qui fut présenté lors des deux films précédents et intronisant les meilleurs parties des suivants. Plus complexe, plus sombre mais également plus drôle et imprévisible, ce troisième épisode épouse l’adolescence de ses héros, entre errance, mélancolie et frayeurs. Pour le meilleur, principalement.
Caméra baladeuse

L’on raconte qu’à l’origine, c’est un certain Guillermo del Toro qui devait hériter des rênes de la saga, après le départ de Chris Colombus. Le projet est finalement revenu aux mains d’Alfonso Cuarón, dont la présence à la barre rassurait J. K. Rowling, la tête pensante de la licence Harry Potter, qui louait le long-métrage précédent du réalisateur (Y tu mamá también) pour sa peinture crue de la jeunesse et son traitement de la sexualité. Une approche radicalement opposée au classicisme des premiers volets et qui supposait un sacré chambardement thématique. Et il eut bien lieu, ce bazar. La toute première scène du Prisonnier d’Azkaban indique la couleur : un travelling avant révèle notre héros à lunettes jouant avec sa baguette magique sous la couette, en pleine nuit, alors que son oncle fait des va-et-vient dans la chambre en espérant le surprendre. Le gag est fonctionnel car reposant sur des mécaniques simples, capturé en un unique plan et doublé d’une seconde lecture à caractère sexuel. Les bases sont posées, autant que le film annonce d’emblée le revirement esthétique qu’il incarne. Cuarón s’est en effet dispensé au maximum de coupes pour laisser à l’action son naturel – la blague n’en est que plus marrante – et s’est même permis de truquer discrètement le mouvement en passant à travers une fenêtre close.
Les séquences suivantes le confirment toutes : Le Prisonnier d’Azkaban prend le contre-pied formel de L’École des sorciers et de La Chambre des secrets, dont la forme classique et les couleurs chaudes collaient aux premiers pas émerveillés du jeune sorcier et qui n’est plus d’actualité. La caméra est désormais détachée du sol et colle au train de ses protagonistes, ses mouvements paraissent improvisées, en réaction directe avec le remue-ménage ambiant, comme si tout annonçait une explosion imminente. Chez Alfonso Cuarón, tout est effervescence, et cela passe d’abord par une mise en scène de la spontanéité, de la vérité. Le réalisateur mise ainsi sur l’utilisation récurrente du plan-séquence, et donc sur la durée des images, pour renforcer l’immersion et faire éclore une émotion naturelle chez ses personnages, alors libérés des hachures du montage et de contre-champs qui falsifiaient leurs émois. Un parti pris au service d’une atmosphère renouvelée, mélancolique – le film donne l’impression d’un long automne avec ses teintes ternes, son ciel constamment couvert – et emplie de flottements, tel le vol d’un oiseau que l’objectif s’amuse d’ailleurs à reporter avec la même énergie que le volatile. La quête de réalisme s’exporte également du côté des décors, ici moins flamboyants qu’authentiques, usés et plus aptes à intégrer une forme de réalité. Et lorsque le récit exige une autre portée, plus grandiose, le cadre s’élargit pour qu’apparaisse une menace encore plus intimidante que le fait de grandir, créant un tableau lyrique et puissant.
L’adolescence

Tout l’arrangement technique et esthétique du Prisonnier d’Azkaban converge en un point thématique : l’adolescence. Ce troisième Harry Potter est comme victime d’un débraillement général, d’une énergie vivace et incontrôlée, d’errements plus ou moins spirituels, en contradiction avec la solennité induite par l’uniforme et la noblesse suggérée par l’environnement. Une intention notifiée par le virage sonore entrepris par John Williams, qui laisse l’orchestral (c’est rare) pour des partitions jazzy, aussi savoureuses qu’elles s’accordent parfaitement aux gags brefs que s’autorise le long-métrage. Quoi de mieux qu’un genre musical réputé pour ses improvisations pour accompagner le portrait de jeunes gens qui lâchent prise ? Pour appuyer leur métamorphose, Cuarón déshabille ses personnages, dénoue les cravates et remonte les manches. Harry, Ron et Hermione apparaissent le plus souvent sans leur costumes, dans des vêtements communs. Le metteur en scène tient à rappeler qu’avant d’être les détenteurs de pouvoirs surnaturels, ce sont des mômes comme les autres, avec les mêmes préoccupations, les mêmes quotidiens. Voilà un axe thématique prépondérant : Le Prisonnier d’Azkaban évoque le temps qui passe, qui file sans qu’on puisse y faire grand chose. À moins d’avoir un retourneur de temps, un artefact magique présenté dans ce seul chapitre et qui cristallise les enjeux de celui-ci. Son dernier acte n’est qu’une course vers ce qui n’est déjà plus, après de nombreux plans imbibés de mélancolie.
L’émancipation des (plus si) jeunes sorciers coïncide avec la méfiance ambiante, poussant Harry à s’écarter du groupe et apprendre de lui-même, comme en témoigne les séquences les plus mémorables de l’opus. Parmi elles, l’ouverture du long-métrage, terriblement jubilatoire, qui dépeint la fuite du garçon dans la nuit noire, après qu’il n’ait su contrôler ses émotions. Plus tôt, le film nous le présentait en train de tester des sortilèges sous la couette, armé de sa baguette. Plus tard, dix somptueuses minutes seront accordées au vol à dos d’hippogriffe, une allégorie on ne peut plus frontale d’un désir de liberté croissant. Grandir, c’est aussi s’envoler. Et tomber amoureux. Avec malice, le metteur en scène mexicain distille subtilement les indices d’amours naissants, quand il ne s’agit pas purement et simplement d’allusions sexuelles. Des scènes à l’origine amusantes prennent une dimension originale et inattendue, les dialogues y gagnent un sous-texte graveleux. Suffisant pour faire naître l’idée que le trio ne tardera pas à mettre les pieds dans de plus grands dilemmes que réussir un Patronus.
Les frissons

Dès L’école des sorciers, l’imaginaire de J. K. Rowling a dévoilé sa face obscure. L’on y découvrait un horrible troll venu terroriser une fillette, un fantôme drapé de noir dans les bois de la Forêt Interdite ou encore le visage de Lord Voldemort accroché à l’arrière d’un crâne. La suite enfonça le clou avec son armée d’araignée et son Basilic, un serpent géant capable de pétrifier quiconque croise son regard. Alfonso Cuarón n’a pas manquer d’apporter sa pierre à l’édifice.
Le scénario de Steve Kloves s’appuie des deux mains sur l’ambiance anxiogène du roman, dans lequel se propage une paranoïa glaciale au sein de la communauté des sorciers. L’évasion de Sirius Black, jugée impossible sur le papier, et son dessein de vengeance rembourrent le film d’un genre nouveau pour la saga : le thriller. Le Prisonnier d’Azkaban joue alors de son suspens comme aucun des deux films précédents ne l’avaient fait, en misant notamment sur le fait d’une insécurité totale – un sentiment récurrent à l’adolescence, encore une fois – et en basculant ponctuellement dans un autre registre, celui de l’épouvante. Le long-métrage le démontre avec une scène retentissante à bord du mythique Poudlard Express, un tour de force horrifique qui transforme, à l’aide d’un boulot d’éclairage ébouriffant, la locomotive et ses wagons en train fantôme. Pluie battante, vitres qui se gèlent à vue d’œil, et l’effroi s’invite dans la cabine, personnifié par une main squelettique. Une leçon de mise en scène et de tempo, où la gestion de l’attente n’a d’égale que la monstruosité des monstres.
La Cabane Hurlante, le loup-garou, les explorations nocturnes et l’omniprésence des détraqueurs : le bouquin de Rowling donne matière au cinéaste pour broder des séquences d’épouvante stupéfiantes, dignes du meilleur des blockbusters d’horreur, et la maestria visuelle ne fait qu’accentuer la puissance de ses effets de frousse. La lueur de la lune indique le pire, puisque la nuit devient vectrice d’innombrables peurs, des plus fantastiques aux plus universelles. Lorsque les poils se dressent, que le cœur palpite, les héros en danger, le spectateur saisit que les rires ne sont qu’éphémères et que les enjeux, aussi dantesques que personnels, sont à prendre au sérieux.
Conclusion
L’appropriation totale du roman par Alfonso Cuarón pose la question de la place d’un auteur au sein d’une franchise et des limites de son implication. Adaptation oblige, ce sont des chapitres entiers du roman qui disparaissent, dont certains fondamentaux. La question des Maraudeurs, déterminante sur le papier, passe à la trappe et ne se sera plus jamais étudiée à l’écran. Le manque pèsera sur les volets suivants. Néanmoins, bien que ses directions audacieuses puissent être perçue comme une trahison envers Colombus et ses deux longs-métrages, Le Prisonnier d’Azkaban se révèle être un passage obligatoire pour Harry Potter, un bond dans l’ère adulte qui s’impose de lui-même. La Coupe de Feu (et sa mort omniprésente) approchant à grand pas, les choix drastiques du troisième chapitre résonne avec évidence : l’aplomb de Cuarón dévoile à ses héros – et au spectateur – toute la noirceur et les ténèbres dont regorgent le monde magique. Un tournant majeur nécessaire et irréversible, où petit sorcier devient grand.