Avatar : La Voie de l’eau, James Cameron dans le grand bain [Critique]

James Cameron, l’homme qui murmurait à l’oreille des Na’vi, rouvre les portes de Pandora pour un second volet aquatique et redistribue les cartes pour les quinze ans à venir.
Une décennie après leur rencontre, Jake Sully et Neytiri ont formé une famille et font leur possible pour rester soudés lorsqu’une ancienne menace refait surface.
On avait fini par croire qu’elle ne sortirait jamais. Repoussée d’une année sur l’autre depuis son annonce, la suite d’Avatar commençait à prendre la forme de ces projets de cinéma qui s’achèvent en fantasme. Des films qui n’existent que dans le futur. Ce filou de James Cameron donne tort à ses détracteurs – ou, du moins, à ceux qui n’y croyaient plus. La planète Pandora rouvre ses portes pour une seconde excursion parmi les Na’vi, ces grands extraterrestres bleus aux airs félins que l’on apprenait à connaître, eux et leurs coutumes, il y a déjà treize ans. Retour en terrain connu, donc, mais pas vraiment. Si le réalisateur-démiurge prend le temps (sur ses trois longues mais passionnantes heures) de réinvestir la jungle luminescente qui faisait le décor du premier chapitre, avant de déloger son armée de personnages en bord de mer, c’est avant tout pour signifier à quel point les choses ont pu changer. L’ex-humain Jake Sully et la princesse amazone Neytiri sont devenus parents, laissant derrière eux leurs sessions de flirt aériens pour de nouvelles responsabilités – et les difficultés qui vont avec – tandis que leurs enfants s’impliquent activement dans leur communauté. Le cadre, lui, pourrait être le même si les textures ne s’étaient pas autant précisées, cent fois plus palpables, détaillées et vivantes qu’auparavant. Faune et flore, comme l’entièreté des particules qui font l’image, touchent à un réalisme tout bonnement inédit sur grand écran. Pas un de ces photogrammes n’est pourtant vrai et non synthétique, là est probablement le plus impressionnant des tours de James Cameron, l’homme qui abat les frontières du septième art. Une prouesse qui ne confirme pas uniquement la réputation du cinéaste canadien, lequel peaufine ses blockbusters avec une ambition et une patience inégalables, mais redistribue également les cartes pour la quinzaine d’années à venir, comme Avatar premier du nom l’avait fait en 2009 – juste avant d’inspirer tout le reste de l’industrie du divertissement. Et puis, après avoir remis à jour les visuels connus du grand public, la forêt luxuriante et sa résistance contre les assauts humains (le premier acte fait l’effet d’une grosse remise en jambe), Cameron saute dans le grand bain, littéralement.
Au fond, le père de Terminator n’est jamais plus à l’aise que les pieds dans l’eau, même lorsqu’il se faufile à bord d’un navire en train de sombrer, et le passage à la flotte cristallise tous les enjeux de ce deuxième Avatar. Sur le plan technologique, évidemment, mais aussi créatif et thématique. Le cinéma de Cameron semble d’ailleurs se replier sur lui-même à cet instant-là, ressuscitant ses scènes d’anthologie (la coulée apocalyptique de Titanic, l’apnée longue durée d’Abyss, le super-soldat façon Terminator 2) en les incluant à cette nouvelle histoire bleutée. Pas toujours pour le meilleur, car ce melting-pot égocentré reste trop en surface pour que le metteur en scène en tire autre chose que de belles réminiscences – et une action à couper le souffle, certes. En treize ans, Cameron n’a strictement rien perdu de son sens du grandiose, du cadre large et de l’immersion. Perpétuellement en mouvement, à l’affût d’un geste, d’un détail, d’une sensation à décupler, il s’essaye à la forme contemplative, presque expérimentale, lorsque ses personnages piquent une tête. La Voie de l’eau bazarde dès lors ses péripéties familiales, ses gros nœuds dramatiques, pour se la jouer documentaire aquatique au plus près d’un écosystème à (re)découvrir. Avant et après cette heure vivifiante avec les cétacés, aux antipodes des standards hollywoodiens d’aujourd’hui, le réalisateur revient à ses sujets de prédilection, à la famille principalement, qu’il dissout physiquement en éparpillant le plus possible la fratrie Sully dans ces océans existentiels agités. Il aborde ses membres individuellement, en partant du père prisonnier de ses vieux réflexes de soldat, pour redéfinir le cocon familial comme une forteresse, plus forte que cette humanité répugnante venant s’enquérir chez les autres de ce qu’elle n’a plus chez elle. Les choses sont claires (comme de l’eau de roche) avec James Cameron, qui fait encore une fois preuve d’une limpidité extraordinaire dans le choix de ses thèmes. Et pas question de caméo, de scène post-générique (trois suites sont cependant prévues), de crossover avec un autre univers à la mode. Avatar : La Voie de l’eau ne répond d’aucune manière aux écueils de l’industrie. James Cameron ou pas, cela en fait d’office un événement.