The Northman, vengeance à la sauce viking [Critique]

Inspiré par les sagas nordiques et la violence qui s’en dégage, Robert Eggers réalise un film brutal, âpre et plus ambitieux que The Witch et The Lighthouse.
Tout juste devenu un homme, le jeune prince Amleth assiste à la mort de son père, assassiné par son oncle. Il fuit le royaume en jurant de se venger. Deux décennies plus tard, le voilà prêt à faire couler le sang.
Il a tourmenté une jeune Anya Taylor-Joy et séquestré Robert Pattinson dans un phare, deux faits d’armes qui lui ont fait rejoindre la caste des metteurs en scène à suivre de (très) près. Aujourd’hui, Robert Eggers, petit génie de l’horreur américaine, s’attaque au peuple viking avec un troisième film plus ambitieux, burné et obsessionnel. Réfléchi pour être le long-métrage ultime en la matière, The Northman démontre une fois encore le culte d’Eggers pour l’histoire et se veut être le produit d’un travail de recherche et de reconstitution ébouriffant. En effet, il ne lui suffit pas d’adapter la légende d’Amleth, inspiration majeure du Hamlet de Shakespeare, et de procurer au spectateur sa dose de bourre-pifs, musculatures saillantes et peaux de bête. Le cinéaste fait renaître, avec ses quatre-vingt-dix millions de dollars (huit fois le budget de The Lighthouse), la souille et la barbarie sans limite du Xe siècle, sa mythologie européenne foisonnante et ses échos sur la destinée. Décors conçus selon les méthodes scandinaves de l’époque, tournage en conditions réelles, casting majoritairement nordique, script rédigé de concert avec des archéologues : pas un accessoire n’est laissé au hasard pour cette fresque vengeresse gravée dans le flanc d’un volcan qui n’attend que de s’embraser. Un décor de lave et de roche qui reflète la stature du protagoniste et la rage qui bouillonne en lui depuis la mort de son père, le roi, assassiné sauvagement sous ses yeux d’enfant. C’est ainsi que la caméra d’Eggers s’y réfère, comme à un bloc de rancune, une montagne en mouvement, le dos courbé sous la charge d’une peine que les années ont changé en fureur. Dans ce rôle de titan pas franchement loquace, Alexander Skarsgård se fie à son anatomie, la vraie vedette du long-métrage. Il ne faut pas espérer dénicher l’émotion ailleurs que dans le creux de ses omoplates badigeonnées de sang : The Northman n’est pas le récit d’un prince valeureux mais d’un bulldozer, et cette mouture n’est pas moins âpre que les précédents ouvrages du metteur en scène.
C’était à prévoir : le goût de Robert Eggers pour l’ésotérisme, autre composante indémêlable de son cinéma, parcourt son dernier film. L’avancée d’Amleth lui réserve pléiade de visions chimériques, d’illusions païennes, de rituels oubliés, qui font flirter le terne de l’imagerie viking et l’étrangeté malsaine qu’adore cultiver le réalisateur, qui transformait déjà The Lighthouse en séance guignolesque. Ces interventions folkloriques viennent surtout fendre une histoire éculée, brossée par Branagh, Kurosawa et Disney. Le long-métrage va forger sa différence dans son rapport à l’anamorphose, mais également aux éléments et leur puissance sur le corps (l’eau trempe jusqu’à l’os, la pierre est coupante, la chaleur force à se dénuder), carcasse qui régurgite l’animosité de son hôte à chaque mutilation. The Northman se ressent, se vit, se transpire. Une œuvre d’une technicité infaillible, cette fois-ci peu portée par l’expressionnisme qui est si cher à son auteur mais d’une précision chirurgicale, entre contemplation onirique et plans-séquences furibonds. Du reste, exempt de sentiments et d’alchimie, le scénario enchaîne les scènes de manière programmatique. Son premier degré assumé pourrait constituer un avantage charmant si sa structure classique et l’absence significative de surprise ne l’empêchaient pas de décoller, passé une introduction savante. Subsiste une violence crue, immodérée, jamais épique ni vraiment glorifiée, allant de paire avec un protagoniste bourreau et non juste. À ses côtés, ou au bout de sa lame qui ne peut se dégainer que la nuit, Anya Taylor-Joy, Ethan Hawke, Willem Dafoe, Nicole Kidman et Björk signent des apparitions remarquées. Eggers a le don de bien s’entourer et de tirer de ses comédiens une hystérie communicative. Un point de plus au palmarès de son remake camouflé de Conan le Barbare (dont il revendique ouvertement s’être inspiré), avant d’élaborer le projet de sa vie : sa version de Nosferatu.