Black Adam, bête et pas méchant [Critique]

Moins super-vilain que héros énervé, Dwayne « The Rock » Johnson réalise son rêve en enfilant le costume moulant de Black Adam dans un blockbuster réservé à l’acteur.
Cinq mille ans après avoir été doté de pouvoirs divins, Thet-Adam est libéré de sa tombe. Son ancien royaume est aujourd’hui contrôlé par des mercenaires étrangers, qu’il compte bien déloger.
Tandis que Kevin Feige s’épanouit dans l’exploitation du multivers, chose que le patron de Marvel Studios et ses équipes peuvent se permettre sans trop de problèmes après quinze ans de productions acharnées, la concurrence en est encore à racheter ses erreurs – comme le lancement foireux de son univers de super-héros. Avec Black Adam, Warner Bros semble néanmoins tenir le bon filon pour corriger le tir. Pour la première fois depuis l’accident industriel Justice League, le studio s’intéresse au développement de son monde partagé. Ses derniers projets lâchaient, pour ainsi dire, l’idée que l’on reverrait un jour une association de gros muscles du côté de DC, The Batman traçant sa propre route, comme Joker ou l’abominable Wonder Woman 1984 avant lui. L’arrivée en grande pompe d’un certain Dwayne « The Rock » Johnson dans la franchise ne serait pas étrangère à ce redressement. Ex-lutteur professionnel devenu homme d’affaires et chouchou du box-office, monstre de charisme et d’empathie, le voilà portant sur ses épaules cette nouvelle adaptation de comic books avec la même ferveur et balourdise que Ryan Reynolds et son Deadpool. Il interprète ici le pendant négatif de Shazam – il était d’abord question qu’il apparaisse dans son film solo –, esclave ayant reçu les pouvoirs des dieux avant d’être emprisonné pour s’en être déplorablement servi, il y a des milliers d’années. Pas vraiment le genre à sauver les chats coincés dans les arbres, plutôt celui à asseoir sa version expéditive de la justice par la force de ses énormes biceps. DC n’en est pas à son coup d’essai avec les gaillards peu fréquentables en tête d’affiche : Suicide Squad et sa fausse suite s’étaient vendus sur le fait de mettre en scène des types à la morale floue – mais qui in fine retournaient leurs vestes pour sauver le monde. C’est un peu la même chose ici. Moins super-vilain que surhomme énervé, le Black Adam de Johnson désintègre ses adversaires sans moufter mais n’est jamais davantage qu’un Superman à cran. Le blockbuster s’efforce à creuser sa face sombre à l’aune de collègues justiciers respectables, voulant nous faire gober que The Rock est un danger tangible pour la planète, mais l’aura de l’acteur l’emporte : avec ses répliques (involontairement) bouffonnes et ses sourcils malléables, la personnalité du comédien – qui finit par se jouer lui-même – efface tout soupçon.
Et c’est tout le soucis de Black Adam. Si le film doit énormément à sa vedette, ici impliqué corps et âme en tant que producteur, il en est également la première victime, vampirisé par un Dwayne Johnson qui se rêve super-héros depuis une vingtaine d’années. Autour de lui, rien n’existe ou ne prend le temps d’exister. C’est le triste sort de la Justice Society, une corporation inédite au cinéma qui n’a que pour vocation de tester notre anti-héros au long d’un spectacle pyrotechnique généreux, tourné telle une guerre d’ego. Jaume Collet-Serra (réalisateur de Jungle Cruise, déjà avec The Rock) les aborde comme les figurants d’un concours de puissance puéril, occupant la majeure partie du scénario, perdu entre réminiscence du vocabulaire snyderien (ralentis intempestifs, iconisation poussive, tsunami d’images de synthèse), son penchant pour la destruction inconsidérée et la contrefaçon d’autres productions du genre – au hasard, Avengers. À défaut d’innover, Black Adam raccroche au moins les wagons avec le reste de l’univers DC en se référant textuellement et esthétiquement aux travaux de Zack Snyder et Patty Jenkins, mais aussi – et c’est une vraie surprise – en se pourvoyant d’un discours politique. Le film bafouille quelques mots sur la posture des héros sur le plan diplomatique et géopolitique, comme avait pu le faire Batman v Superman (en mieux), en même temps qu’il s’embourbe dans un hommage sidérant de nullité à Terminator 2 et Sergio Leone. Sans consistance et n’étant guère plus qu’un produit d’action et d’épate, aux ruptures de ton maladroites, aux embranchements stupides, au Pierce Brosnan séduisant mais sous-exploité en simulacre de Doctor Strange, Black Adam concrétise l’un des plus anciens fantasmes de Dwayne Johnson autant qu’il pénètre son mythe : The Rock n’est-il pas devenu trop fort pour le cinéma ?