Le Seigneur des anneaux : Les Anneaux de Pouvoir, l’argent ne fait pas le bonheur [Critique]

Son budget monstrueux et ses plans larges impressionnants n’y font rien : la première saison du Seigneur des anneaux ne tient pas ses promesses en traînant son univers comme un boulet.
À une époque de paix, l’elfe Galadriel découvre que le mal n’a pas disparu. Elle et d’autres personnages, familiers ou nouveaux, vont devoir faire face à la réémergence des ténèbres en Terre du Milieu.
Dix ans de dragons, morts-vivants glacés, régicides et complots familiaux – autrement dit, dix ans de Game of Thrones – ont quelque peu troublé la manière de concevoir la fantasy sur petit écran. La série fantastique serait même devenu un argument imparable pour s’affirmer à une ère de grande concurrence télévisée. Netflix s’est doté de The Witcher, Disney+ capitalise sur ses achats récents en lançant la production de Willow (la suite du film de Ron Howard), HBO exploite encore les écrits de G. R. R. Martin avec le spin-off House of the Dragon et Amazon rétorque en signant le plus gros chèque jamais vu dans l’histoire de la télévision pour acquérir les droits du Seigneur des anneaux. Pas dans l’intention de refaire la trilogie de Peter Jackson (ce serait suicidaire) mais d’adapter les appendices des romans de Tolkien, notes détaillant les événements cruciaux de la Terre du Milieu quelques millénaires avant que Frodon ne parte pour le Mordor. L’héritage de Jackson est pourtant là, dès le premier épisode qui s’apparente au prologue de La Communauté de l’anneau, avec son amas d’effets spéciaux numériques, son esthétisation du champ de bataille, ses chœurs épiques et sa succession de panoramas précisant les méfaits de Sauron, le grand méchant que l’on attend de voir sortir de son trou. Toute l’ambition des Anneaux de Pouvoir y est révélée, toute son envie (et besoin) de grandeur et de démarcation. C’est également le message derrière cet amoncellement d’images clinquantes : Le Seigneur des anneaux n’est pas Game of Thrones. Son monde est plus vaste, sa mythologie plus importante, ses intrigues moins personnelles que divines. Cela contraint la série à s’enfermer longuement dans un processus d’exposition, étalé sur plusieurs épisodes (de plus d’une heure chacun), pour figurer son histoire feuillue, la hiérarchisation des espèces (nains, humains, elfes, hobbits et orcs sont évidemment au rendez-vous) et placer un début d’enjeu dramaturgique. Une entrée en matière si prolixe, si fastidieuse, qu’elle refoule le rebondissement, et Les Anneaux de Pouvoir donne l’impression d’examiner une nature morte.
À remettre perpétuellement en contexte, cette première saison omet d’insuffler du cœur à ce début d’épopée plein de promesses. Ses personnages sont ainsi immobiles, mais bigrement bavards, suspendus à l’unique trait de caractère que le script veut bien leur céder. Ils froncent les sourcils dans leurs belles cottes de mailles, traînent la patte dans un tissu de sous-intrigues semblable à une gigantesque toile d’araignée qui ne s’arrête jamais de s’étendre, et si l’on suppose que leurs actions dérisoires d’aujourd’hui serviront celles de demain (ou d’après-demain), la série éprouve de grosses difficultés à gérer sa narration amphigourique. Lorsqu’elle se décide à rompre la stagnation, pour fanfaronner avec ses échauffourées en armure, d’autres coquilles viennent entraver sa réussite. Ses moyens pharaoniques ne lui garantissent une technicité à la hauteur du grand spectacle annoncé, puisque sortie des plans extra-larges (ceux du prologue mis en scène par Juan Antonio Bayona, donc) la caméra est gauchement traînée entre trois décors dépeuplés et ne sait ni comment, ni quand iconiser ses héros, et encore moins soutenir leurs révélations abracadabrantesques. Mais tout n’est pas qu’échecs et désolations dans cette Terre du Milieu revisitée par Amazon. Les mélodies orchestrales de Bear McCreary, le compositeur attaché au reboot de God of War, sont somptueuses et n’ont rien à envier à celles d’Howard Shore – qui lui revient pour le thème musical principal de la série. L’on ne peut qu’être admiratif, également, du soin porté aux costumes, prothèses et accessoires, aux trucages qui ne trahissent en aucun cas la majesté de la Nouvelle-Zélande. Les participations de Robert Aramayo (le jeune Ned Stark de Game of Thrones) et Owain Arthur, respectivement Elrond et Durin, égayent l’ensemble malgré des performances étouffées par le texte. Et puis Les Anneaux de Pouvoir redresse la barre in extremis en acceptant de souder une bonne moitié de ses intrigues avant la fin de saison, comme pour signaler formellement que les préliminaires s’achèvent, que la machine démarre. Un peu tard pour féliciter J. D. Payne et Patrick McKay, les showrunners attitrés, mais les graines sont plantées pour une deuxième saison qui ne peut qu’être de meilleure facture.