House of the Dragon, rallumer la flamme [Critique]

Avant de faire danser ses dragons, le préquel de Game of Thrones dresse un majestueux portrait de femmes et met en lumière les indices d’une tragédie à long terme.
Alors que le roi Viserys règne sur Westeros, la question de sa succession est sur toutes les lèvres. Une question qui pourrait être le point de départ de trahisons et de jalousies, au sein de sa propre famille, les Targaryen.
Qu’il est difficile d’évoquer Game of Thrones sans se remémorer sa huitième saison, largement considérée comme l’une des plus controversées de l’histoire de la télévision. Mais la chaîne américaine HBO pouvait-elle renier sa poule aux œufs d’or, mastodonte ayant secoué l’industrie et déclenché l’avènement des blockbusters du petit écran ? De Netflix à Disney, tout le monde souhaite réitérer l’exploit – pour ne pas dire le miracle – Game of Thrones, y compris HBO qui lance un préquel trois ans après l’esclandre entourant sa fin. House of the Dragon, adaptation du roman Feu et Sang de l’auteur George R. R. Martin, nous ramène deux siècles avant les tribulations de Daenerys Targaryen, à une époque où sa famille de dragonniers blondinets prospérait et – c’est un détail à souligner – occupait le trône de fer. Une époque où l’apparition soudaine d’un lézard volant dans les cieux de King’s Landing ne résonnait pas comme l’aboutissement d’un parcours semé d’embûches et de dothrakis, ou comme la pire des catastrophes pour sa population. Le récit n’est donc plus celui d’une interminable ascension vers le trône, comptant autant de points de vue que de personnages à Westeros, autant de ruses politiques que de créatures surnaturels à défaire, mais celui d’une maison pourrissant de l’intérieur. En ce sens, le spin-off va même à l’encontre de la série-mère en abjurant un (gros) morceau de son univers médiéval touffu pour se consacrer à un lieu fixe et ne plus en sortir, à ses péripéties intestines qui pointent irrémédiablement vers la Danse des Dragons, la guerre civile à l’origine de l’extinction des Targaryen. L’espace narratif considérablement réduit, House of the Dragon n’ayant que faire des Stark ou des Lannister, les épisodes font preuve de célérité et se plient à un dispositif de prime abord confondant. La série cumule en effet les sauts dans le temps, faisant défiler les semaines, mois et années entre les génériques, jusqu’à remplacer la moitié de son casting en cours de route pour respecter le vieillissement des personnages – chose que s’était catégoriquement refusé de faire Game of Thrones. La stratégie s’avère assez bien rodée pour que, passé l’effet de surprise, ces dix premiers chapitres n’aient pas l’air d’une vulgaire compilation de scènes disparates, mais se présente comme la mise en lumière intelligente, souvent subtile, des engrenages d’une tragédie à long terme.
Avec ses quelques dragons supplémentaires et sa narration toute neuve, House of the Dragon est pourtant loin de couper le cordon. C’est justement le gros pari de cette proposition : revendiquer haut et fort l’héritage de l’originelle, manier ses codes à son avantage et reconquérir un public devenu méfiant. Nantie des arguments qui ont fait la renommée de Game of Thrones (morts subites, incestes, batailles épiques, générique, etc.), la série converse avec son aînée par situations et protagonistes-miroirs, resituant notamment au travers de son premier épisode flamboyant la position solitaire de Daenerys et le poids accablant de sa quête. De quoi épaissir la grande histoire de ce continent fictif, dont la perversion paraît remonter à la nuit des temps, et raviver une flamme sur laquelle D. B. Weiss et David Benioff ont bien trop soufflé. Princesse avide d’aventure, prince rebelle, chevalier bafoué, comploteur de l’ombre : les archétypes les plus séduisants sont sauvegardés, bien qu’ils règlent ici leurs propres dilemmes et non ceux de leurs prédécesseurs. Pas de valeureux Jon Snow, ni de Tyrion aux prises avec les siens, donc. Plutôt de majestueux portraits de femmes (les vraies actrices et héroïnes du programme), prisonnières de chambres à peine éclairées, muselées par le devoir. House of the Dragon ne loupe aucune de leurs frustrations, de leurs épreuves d’épouses forcenées (tel un accouchement en plan-séquence exténuant) ou de femmes libérées, étincelles parfois brèves mais toutes indispensables au brasier final. Des personnages magnifiques à qui la mise en scène rend justice assidûment et qui trouvent leur puissance dans l’interprétation éblouissante d’un casting finement sélectionné. Mention spéciale à ce Matt Smith délicieux en petit frère jalousant cruellement la couronne de son frangin, et à cette Emma d’Arcy croisant son premier rôle d’envergure. Sans leur dragon cracheur de feu, ces deux-là auraient quand même réussi à faire de ces dix épisodes une saison d’ores et déjà indispensable.