Spider-Man : Far From Home, l’araignée en Europe ! [Critique]

Avengers : Endgame se conjugue aujourd’hui au passé. Il incombe ainsi à Spider-Man : Far From Home de conclure la troisième phase du programme Marvel Studios et, par extension, l’arc principal de cette saga dite « de l’Infini ». Autant dire que Jon Watts, à la barre du projet, doit composer avec un cahier des charges rudement pesant.
Peter Parker part en vacances ! Mais malheureusement pour le lycéen, qui comptait bien laisser son costume chez lui, le monde a encore besoin de son alter ego. De mystérieuses créatures liées aux éléments surviennent et Nick Fury, épaulé d’un tout nouveau héros, demande son aide à l’araignée pour contrer cette menace.
Far From Home constitue la cinquième apparition de Spider-Man au sein du Marvel Cinematic Universe. En l’espace de trois ans, le justicier en collant aura eu le temps de prendre ses marques aux côtés des Avengers depuis le tiède Captain America : Civil War. Alors, dans l’optique d’extraire le tisseur de sa zone de confort, Jon Watts décide d’éloigner le plus possible le héros de ses repères, le plaçant dans un décor tout à fait inédit : l’Europe. L’idée est séduisante et plutôt bien trouvée pour une franchise exclusivement tournée vers le continent américain. La suite de Homecoming se veut ainsi dépaysante, riche et explosive. L’homme-araignée, toujours aussi vivace, s’adapte parfaitement aux rues européennes, moins fournies en gratte-ciel, certes, même si l’on ne peut que regretter cette fâcheuse propension à larguer ses concepts et thématiques les plus passionnantes, encore brûlants. La frustration pointe le bout de son nez.
Les événements décisifs et tragiques de Infinity War et Endgame ont laissé une marque indélébile sur Terre. L’humanité tente de se reconstruire, et parmi elle, le jeune Peter souffre encore de la disparition de son mentor, le réputé Tony Stark. Jusqu’ici, la relation entre le génie milliardaire et Parker s’était construite en amont des opus, et Far From Home se doit de faire tourner la page à son protagoniste, tout en lui faisant prendre conscience de l’héritage (conséquent) d’Iron Man. Leur apparition est par moment impromptue, un peu hasardeuse, mais les scènes qui présentent le justicier face au deuil constituent le cœur du long-métrage. Cependant, comme beaucoup d’autres idées captivantes, les nouvelles responsabilités de Peter se noient dans un amas de directions différentes. Tout le problème est là : favoriser la quantité à la qualité. À vouloir en faire trop, le vingt-troisième chapitre du MCU s’encombre.
La romance que tente de tisser le Peter avec MJ, son lien avec les autres étudiants, la place de Spider-Man dans tout ça : tant d’éléments scénaristiques que le blockbuster ne traite qu’à moitié. Le script vise uniquement à multiplier les intrigues, les entremêler, assurément dans le but de maintenir un mouvement continu. Le tempo du film est d’ailleurs un de ses atouts, car s’il laisse peu de place au développement des thèmes et des personnages, il n’en laisse aucune à l’ennui. Pour contrecarrer toute forme de lassitude, la suite de Homecoming joue de son rythme mais également de son humour, composante substantielle du métrage. Comique de situation, running gags, répliques aiguisées ou potaches : tout le monde s’y prête, y compris les figures les plus froides.

L’un des gros arguments marketing de Far From Home réside en la présence d’un antagoniste inédit sur grand écran. Exit le Bouffont Vert, le Docteur Octopus ou le Vautour : place à Mysterio, roi des illusions. Sur papier, l’ennemi de Spider-Man (de son vrai nom, Quentin Beck) a plus d’une fois bouleversé la vie du tisseur, étant capable de faire et défaire ses souvenirs fondamentaux. Il était donc primordial que Marvel Studios prenne ce super-vilain au sérieux. Comme à l’habitude, l’adaptation se veut autant respectueuse qu’elle le peut, essayant simultanément de conserver l’essence du personnage et de le lisser pour mieux le fondre à l’univers filmique. Jon Watts s’amuse du mystère de Beck ainsi que de son image (terme plus important qu’on pourrait le penser) pour mieux berner le spectateur (ainsi que l’homme-araignée). Séparées en deux parties distinctes, la trame de Mysterio s’articule autour d’un twist prévisible mais fonctionnel, qui permet de joindre diverses péripéties (autour d’un certain Mr. Stark, par exemple). Le vilain ne restera pas dans les mémoires, par manque de temps à l’écran, même si le peu de relief que lui aura injecté Jake Gyllenhaal ravit. Malgré son texte simple (volontairement cliché), l’acteur campe un Mysterio aussi crédible que charismatique. Gyllenhaal maîtrise la dualité de son rôle et s’en sort relativement bien. Néanmoins, le constat est sans appel : le comédien ne donne pas de sa personne, se limitant à un résultat suffisant mais limité en rapport à ce qu’il a su démontrer ces dernières années. De son côté, Tom Holland prouve une énième fois qu’il est né pour incarner Spider-Man, interprétant un Peter Parker touchant – et compréhensible – et un super-héros en proie aux doutes. Marvel Studios a réalisé un coup de maître en engageant le jeune acteur de The Impossible.
Le premier film consacré à l’araignée de New-York – sous l’ère Disney – bénéficiait d’une mise en scène juste et soignée, appropriée pour l’action et sans grandes fulgurances. Jon Watts aux commandes, pour la seconde fois, Far From Home en est le prolongement brut. Quelques séquences s’avoueront vertigineuses et visuellement étoffées (les hallucinations de Spidey sont des scènes fabuleuses), éparpillées dans un ensemble trop lisse pour en faire une pure réussite technique. L’overdose d’effets numérique vient freiner l’essai, condamnant les intentions étudiées.
Chapitre frais mais brouillon, Far From Home a tout du blockbuster calibré pour l’été, rafraîchissant et divertissant, malgré plusieurs failles au goût amer. Pour un projet censé conclure dix ans de productions super-héroïques, ce Spider-Man fait pâle figure. Cependant, en tant que pur produit Marvel, le film atteint ses objectifs. En vue des scènes post-génériques, les suites sauront se faire attendre, présageant le meilleur (et le pire) pour la nouvelle tête d’affiche du Marvel Cinematic Universe.