The Suicide Squad, James Gunn casse la baraque [Critique]

James Gunn lâche Disney pour faire le pitre chez DC. Sa version de Suicide Squad, plus gore et déjantée que la précédente, envoie valser cinq ans de films super-héroïques.
Le pénitencier de Belle Reve abrite les pires super-vilains. Pour en sortir, ils sont prêts à tout, même à rejoindre la Suicide Squad pour une mission mortelle dans la jungle, en proie à d’innombrables ennemis et à leur gouvernement.
Produit du manque d’aplomb d’un studio envieux et avare, Suicide Squad résilia le peu d’espoir de voir se dresser une alternative durable aux pétarades du Marvel Cinematic Universe. Le blockbuster de David Ayer (il ne s’en est jamais remis), aussi crétin et hors-sujet qu’on puisse l’être, résumait la démarche mercantile, intéressée et anti-artistique de Warner Bros, dont les aspirations reposaient fondamentalement sur le fait d’imiter ce que l’on fabrique de plus rentable, à un degré tel que l’entreprise n’eut aucun remords à chiper les réalisateurs employés chez autrui. Rattrapé au vol après son largage par Mickey, James Gunn enfile le maillot DC et recompose la vaillante troupe de kamikazes, non sans se permettre quelques transferts – Idris Elba remplace Will Smith –, et la guide à travers une jungle aux mille dangers, terrain miné et adéquat au jeu du massacre. Son The Suicide Squad s’appréhenderait presque tel un héritier du Battle Royale de Kinji Fukasaku, ses bonshommes catapultés sur une île, un détonateur placé dans la nuque, le même esprit grinçant (et politique) flottant dans l’air. Comme si le réalisateur des Gardiens de la Galaxie avait troqué sa plume contre un bâton de dynamite, attaquant de front les standards du genre et menant à la baguette un défouloir follement gore, maintenant son rythme et sa nervosité en chaque particule du long-métrage. Il s’emploie à démembrer les convenances, trucide sans sommation ses protagonistes (là est tout le principe) et assume leur sadisme et oripeaux bouffons, ralliés à sa narration anarchique. Celle-ci concourt aux tonalités comico-beaufs que l’on prête à Gunn, débarqués aussi cyniquement que frontalement en plein déluge et qui, en plus d’enrichir grassement les hostilités, laissent à penser que le metteur en scènes a pu matérialiser le moindre de ses songes barrés. Le blockbuster n’en est que plus incroyable.
The Suicide Squad fédère les pires bras cassé de l’étendard DC, un attroupement de guignols que James Gunn déterre de comic books oubliés et ringards. Mais plus que d’être une farce ambulante, l’escouade est criblée de méchancetés, de psychoses irréparables et d’allusions malignes, faisant le pont entre les ambiguïtés de l’Amérique et le syndrome œdipien, et l’on reconnaît bien là un peu du génie de Frank Miller (Sin City), un soupçon du cinéma de Tarantino. Gunn creuse sommairement ses vilains – enfin les sociopathes promis –, juste assez pour que ces énergumènes gagnent en empathie et soient acteurs d’émotions insoupçonnées, que chacun danse à son tour et ne dévore son collègue. La maîtrise du cinéaste se mesure à ses dons pour conjuguer l’ouragan de tripailles à un sens de l’émoi frappant, perceptible dans ses travaux pour Marvel et ici intensifié exponentiellement. Il débride également sa mise en scène, gavée de zooms et travellings inopinés, balaye cinq années de productions super-héroïques aseptisées en un enchaînement de scènes volcaniques. Idris Elba, John Cena et Margot Robbie, instigateurs costumés, escortent fidèlement cette grosse machine exemptée du cahier des charges courant (et des impératifs de l’univers étendu cinématographique), incapable de rivaliser avec le démentiel Justice League de Zack Snyder mais bien supérieur à ce qui est d’usage dans le paysage des masques et des capes. Vers une renaissance pétulante ?