Andor, la vraie guerre des étoiles [Critique]

La saga sort de sa zone de confort avec Andor, pure série d’espionnage se déroulant avant Rogue One, et accouche de son meilleur programme télévisé.
Cinq ans avant de participer au vol des plans de l’Étoile Noire, Cassian Andor agit comme espion contre l’Empire galactique, participant à ce qui deviendra l’Alliance rebelle.
De ratages intergalactiques en déceptions sidérales, les plus récentes tentatives de Lucasfilm ont drôlement remis en cause l’aura de la saga Star Wars et la force évocatrice de ses noms. Le Livre de Boba Fett et Obi-Wan Kenobi, deux super-productions sérielles basées sur ses personnages cultes, ont confirmé les difficultés du studio à poser un regard neuf, si ce n’est pertinent, sur ses mythes fondateurs. Ce n’est pas un hasard si sa branche la plus félicitée – à raison – ne concerne ni les Skywalker, ni vraiment le destin de la galaxie, mais un chasseur de primes anonyme et sa créature miniature. Si tout semble donc avoir été raconté à l’échelle mythologique, encombrée par Dark Vador et ses descendants, il reste à la licence l’exploitation d’une voie plus modeste et appropriée que jamais, celle des petites gens pris dans les remous sociétaux et politiques d’un univers troublé. C’était l’approche novatrice de Rogue One : s’intéresser aux membres inconnus de l’Alliance rebelle dont les actions, moins extraordinaires qu’un duel de sabres laser sur une planète de lave, se révélaient déterminantes à la chute de l’Empire. Andor, qui tire son nom d’un des héros du spin-off, creuse le même sillon, plus ardemment encore. Fini les pouvoirs magiques, le fan-service agressif, les aliens mignons et les grands discours d’encouragement. La série fait régner la nuance, plongée dans une atmosphère oppressante et grise, interrogeant l’ensemble de ses personnages quant à leurs motivations, leurs raisons de se battre ou de valider la montée en puissance du régime Palpatine. Certes, comme tant d’autres itérations Star Wars avant lui, le programme déroule son action entre La Revanche des Sith et Un Nouvel Espoir, un espace narratif que l’on pensait saturé mais que le point de vue humain et sociétal permet de réinventer de fond en comble. L’on s’intéresse alors au protagoniste éponyme, un type à la recherche de sa sœur disparue et d’un but à atteindre en ces temps obscurs, comme l’on s’intéresse à chaque (micro-)factions d’une guerre maintenue silencieuse. Andor ne fait aucun traitement de faveur. La caméra se loge dans les camps miteux de la rébellion comme dans les bureaux impériaux et les appartements bourgeois de Coruscant, décortiquant le profil de ses occupants avec une attention identique. Point de preux chevaliers ou de gros vilains ici, le manichéisme est laissé sur le pas de la porte. Et Star Wars cesse de faire du Star Wars.
La série Andor s’est déchargée du moindre attribut de fantasy, pensée telle une pure série d’espionnage, pourvue des mêmes qualités techniques que Rogue One. Elle veille à ce que chacun des éléments présents à l’image, l’entièreté de ses lieux, accessoires et costumes fasse son poids, comme un indicateur supplémentaire de la gravité des enjeux. Tourné au maximum en décors naturels, de fait plus palpable et vivant que The Mandalorian, le show suit la direction de Gareth Edwards en adoptant une caméra épaule adéquate pour capter la nervosité des barouds et l’agitation générale. À cela s’ajoutent une photographie poussiéreuse héritée de Greig Fraiser, des effets spéciaux maniés avec parcimonie, une bande originale électrique et la plume de Tony Gilroy, le scénariste derrière la saga Jason Bourne. Le showrunner brille par sa disposition à infiltrer les consciences et animer la petite histoire de rebelles inexpérimentés, de sénateurs combinards, d’agents à la solde de l’Empire, de personnalités qui n’ont su choisir leur camp. Et si Andor s’impose par sa radicalité comme un objet singulier au sein d’une saga lissée par les années, elle s’engage également à respecter les inspirations premières de George Lucas. Star Wars ne s’était jusque-là jamais autant rapproché de la Seconde Guerre mondiale, de ses uniformes droits, de son climat oppressant qui, selon l’angle, fait des résistants une bande de terroristes ou les incarnations de l’espoir. Star Wars n’avait jamais paru aussi concret. La preuve ultime que la réussite n’est pas une question de Jedi, ou de grandiose – la série dispose cependant de moments de bravoure tout bonnement extraordinaires – mais de foi en ce qui est raconté. Au milieu de tous ces produits au nom familier, cette première saison (bientôt complétée d’une deuxième) inspire une rigueur que la saga gagnerait incontestablement à diffuser sur le reste de son catalogue.