Rick et Morty (Saison 6), une affaire de famille et de pop-culture [Critique]

Entre science-fiction ultra-créative et psychanalyse de la petite famille américaine, Rick et Morty se paye une sixième saison revigorante.
Sauvés des ruines de la Citadelle, Rick et Morty rentrent chez eux sans générateur de portail. Le premier ne désespère pas de retrouver le Rick responsable de la mort de sa famille.
Rick et Morty pourrait durer « pour toujours ». C’est ce qu’ont annoncé Dan Harmon et Justin Roiland, les deux bonhommes derrière cette folle odyssée de l’espace qui, depuis maintenant neuf ans, fait le bonheur de la chaîne Adult Swim. En attendant de voir sur combien d’années s’étireront les mésaventures du grand-père et petit-fils éponyme, et si les showrunners leur réservent le même destin tragique que d’autres classiques du petit écran (Les Simpson et sa vingtaine de saisons en trop demeurent malheureusement l’exemple à ne pas suivre), les voilà qui livrent une sixième fournée d’épisodes faisant suite au brouhaha provoqué par la précédente. Passé deux saisons qui reniaient le fil rouge (les machinations du Morty diabolique, entre autres) au profit d’expérimentations formelles et narratives, Harmon et Roiland ont procédé à un recalibrage drastique de l’intrigue, trop costaud pour être éludé par le prochain générique. Au cours d’un ultime chapitre décisif, la série s’est repliée sur elle-même en résolvant certains de ses gros mystères et problématiques sentimentales, pour mieux imploser et altérer un statu quo que l’on ne pensait pas voir s’effondrer de sitôt : Rick et Morty fait une croix sur son accessoire fétiche, le fabuleux générateur de portail (ou « portal gun », pour les puristes) via lequel nos héros passent d’une dimension à l’autre et entreprennent leurs voyages extraterrestres. Un objet précieux dont la disparition contraint la série à revoir quelque peu sa dynamique et ses méthodes de divertissement – en attendant que le savant fou répare son gadget. Désormais incapable (ou presque) de se séparer, la petite famille voit les péripéties comico-gluantes lui sauter directement au visage sans même quitter son canapé, forcément moins cosmiques qu’à l’accoutumée mais les scénaristes y trouvent le moyen d’aborder leurs personnages encore plus frontalement et de traiter le groupe pour ce qu’il est : une cellule familiale dysfonctionnelle mais unie par une bêtise commune et un grand besoin de se sentir exister dans cet univers interminable. Chacun de ses membres y est alors revalorisé sur la base de ce que les saisons précédentes avaient ingénieusement semé – Beth et son clone guerrier, Jerry et son sentimentalisme exacerbé, Morty et sa méfiance pour son grand-parent –, tous mis à contribution d’un carnaval orgastique se renouvelant de lui-même sans s’essouffler. Le drame évolue à la même vitesse que le délire fantastique qu’il génère accidentellement, Rick et Morty s’appuyant solidement sur un équilibre (re)trouvé lors de la dernière salve d’épisodes, entre science-fiction ultra-créative, analyse sociale poussée et références pop-culturelles en vrac.
Ses références, la série les saborde avec un entrain inégalable, citant sans détour longs-métrages, jeux vidéo et personnalités cultes de notre ère. Un trait de caractère qui explicite autant sa conscience de ce qui l’entoure – une industrie cinématographique toujours plus dopée aux vaisseaux spatiaux et à la nostalgie – que sa petite méchanceté envers ce qui se produit à côté, des films Marvel aux classiques de la culture américaine (Die Hard, Jurassic Park, Star Wars), en passant par les événements geeks les plus récents et commentés (la fameuse Snyder Cut). Son recours à la référence va de pair avec sa narration méta qui n’hésite pas à faire remarquer aux personnages qu’ils appartiennent à un programme télévisé et qui, lors d’un septième épisode mirifique, personnifie le flashback, le twist et le faux raccord, nos héros affrontant au sens propre artifices de mise en scène et procédés d’écriture. Le quatrième mur y est complètement désintégré. Mais le génie de Dan Harmon et Justin Roiland ne réside pas dans cette parodie de surface qui moque le monomythe et autres concepts de narratologie. Leur vrai talent s’exprime lorsqu’ils usent de ce charabia pour mesurer la teneur quasi-religieuse de la fiction – et plus particulièrement du cinéma grand public – aux yeux du spectateur, à qui Rick Sanchez semble s’adresser continuellement. De par son cynisme invariable, celui-ci abat verbalement les codes du divertissement populaire, ou mieux, les détourne à son avantage pour vaincre ses adversaires visqueux, qui défilent aussi vite que la maison Marvel remplace ses personnages. Ces montagnes russes (ou plutôt spatiales) sous fond de drame familial sont encore à l’image de leur mascotte grisonnante : en avance sur le reste.