Le Garçon et le Héron, oiseau rare [Critique]

Hayao Miyazaki revient dix ans après son dernier film pour Le Garçon et le héron, mise en abyme poétique et émouvante de son héritage de géant de l’animation.
Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de onze ans, s’installe avec son père dans un vieux manoir où il rencontre un héron cendré doué de parole.
Hayao Miyazaki a tant discuté sa retraite de réalisateur que ses déclarations ont fini par sonner comme une blague – à laquelle lui-même ne croit certainement plus. Voilà trente ans que le maître de l’animation colle à ses productions l’étiquette du « dernier film », trente ans qu’il prétend renoncer à son poste de conteur du cinéma pour finalement revenir à ses croquis, quelques mois plus tard. Miyazaki est ainsi aspiré par le travail, qui semble être pour lui l’unique moyen de tempérer son imaginaire débordant, peuplé de monstres aimables, de lieux merveilleux et proprement japonais. Son rapport au labeur nourrit d’ailleurs ses fables fantastiques, dans lesquelles de jeunes héros se heurtent aux responsabilités des adultes, parfois pour mieux comprendre les paysages qui les entourent, souvent pour surmonter une épreuve affective. Ce fut le voyage initiatique entrepris par Chihiro, celui des voisines de Totoro et de la petite sorcière Kiki aussi, et c’est enfin celui de Mahito, le héros hardi sur lequel repose le récit du Garçon et le héron. Ici, le gosse du titre quitte la ville pour la campagne après la disparition de sa mère, et croise la route d’un animal magique – ledit héron – qui devient son guide dans un monde secret. Une trame qui, dans les grandes lignes, a servi la plupart des scénarios de la maison Ghibli mais que son fondateur gonfle d’allégories plus absconses qu’à l’accoutumée. Cette complexification n’est pas sans rappeler l’un de ses contes précédents, Le Château ambulant, qui partait d’un thème commun (la guerre) et écoulait sa dramaturgie par le biais de rebondissements merveilleusement indéchiffrables. C’est un peu la même chose avec cette histoire-ci, étrange et difficile malgré la clarté des sujets, dessinée à la main comme le veut la tradition du studio – on taira l’accident industriel qu’est Aya et la Sorcière – et qui trouve une résonance toute particulière dans les mains d’un Miyazaki octogénaire et conscient de son âge. Le maître avait prévenu : ce douzième long-métrage est dédié à son petit-fils et, a fortiori, à sa propre fin.
La mort fait partie du décor chez Miyazaki. Dans Le Garçon et le héron, elle se lit partout et de toutes les manières. Dans la chaleur déformante du prologue, dans le silence du manoir, dans les cyprès empruntés aux tableaux d’Arnold Böcklin, dans les yeux vitreux des figurants : la mort est un prétexte à l’aventure, un vecteur d’émotions, une accroche esthétique, un point de convergence, une force en mouvement. À l’inertie, liée dans l’inconscient à l’agonie du corps, le film préfère l’effondrement, la chute en cascade des éléments, bruyante et inévitable. Autour des protagonistes, les structures s’écroulent tour à tour sans qu’on ait le temps de les inspecter, les séquences se superposent plus qu’elles ne se suivent, puisque la narration dégringole avec le reste. Il n’y a cependant rien de sinistre dans ce grand spectacle de destruction, où les personnages préservent leur détermination en dépit de la ruine. Miyazaki attend la même bravoure de ses successeurs, à qui il adresse frontalement cette mise en abyme poétique de son départ « pour un autre monde » (ses propres mots), qui ne pourra se faire sans quelques éboulements. Cet univers s’affaissant sur lui-même, divisé en chimères humanoïdes et étendues sauvages, est bien le sien. Il y réinjecte d’anciennes effigies (les sylvains de Princesse Mononoké, les spectres du Voyage de Chihiro, etc.) en mariant la beauté de leur sens à la possibilité de les voir se matérialiser dans d’autres fictions, se faisant symbole d’une plausible transmission – ou au moins d’une transformation. Pour le réalisateur, l’architecte après lequel court Mahito est un avatar tout trouvé : à travers sa bouche de vieux sage, grand-père retiré dans sa tour, ce dernier narre l’échec de son legs et l’incapacité pour quiconque de pouvoir soutenir un héritage si considérable. Il donne alors le choix à ses héritiers de reconstruire à leur guise – un plan méta sur des jouets renvoie le dessein artistique à son état le plus épuré – et de trouver l’équilibre qui leur sied. En attendant, Hayao Miyazaki laisse la porte ouverte à de nouvelles péripéties : si Le Garçon et le héron s’arrête sur un départ, c’est que le roi de l’animation japonaise s’est cette fois retenue d’annoncer son retrait et potasse son prochain film.