L’Attaque des Titans (Saison 4 – Troisième Partie), entre le ciel et l’enfer [Critique]

Un bouquet final exténuant et grandiose, dans la lignée d’une quatrième saison renversante : après dix ans de diffusion, L’Attaque des Titans termine en apothéose.
Les membres du bataillon d’exploration font face à leur ancien ami, Eren Jaeger, responsable d’un génocide sans précédent. La bataille finale commence.
Cette fois-ci, c’est vraiment fini. Après le report incessant de ses épisodes finaux, le découpage exagéré de son dernier arc et son changement de format in extremis, l’adaptation animée de L’Attaque des Titans s’est conclue au terme de deux épisodes extra-larges. La précédente partie – trois auront été nécessaires pour atteindre la fin du récit, dont une scindée en deux – n’avait laissé que peu d’espoir à son public. Transformé en un monstre effroyable, entouré d’une armée de colosses aussi affreux que lui, Eren Jaeger entérinait sa rupture avec son rôle de héros en devenant ce qu’il s’était promis d’éradiquer. Sa nouvelle forme démoniaque parlait d’elle-même. Sa taille impressionnante de disproportion illustrait toute la solitude du personnage, sa distance avec le monde et maintenant les spectateurs, niché si haut qu’il paraissait avoir trouvé le moyen d’échapper à l’intrigue elle-même – une intrigue alors régie par ses aspirations génocidaires, ses manipulations à travers le temps et ses sentiments contrariés de jeune garçon. Là est le grand twist derrière la saga de Hajime Isayama : dans cette histoire aux tenants cruels, la fin du monde répond au besoin de protéger – voire d’aimer. Un paradoxe appuyant tous les autres, y compris ceux dévoilés lors de l’ultime salve d’épisodes, évidemment dévastatrice. Quatre saisons plus tard, la série nippone cultive toujours sa sève rebelle. Sous la plume de l’auteur, et celle des animateurs du studio MAPPA, les personnages trahissent les archétypes, font perdre au combat sa saveur héroïque, et quand bien même L’Attaque des Titans se resserre peu à peu autour d’un unique enjeu, l’œuvre nie catégoriquement toute lecture manichéiste en saupoudrant ses actions de détails ambigus, encore. La résurgence du bataillon d’exploration, réunifié dans un élan nostalgique, ne se fait donc pas sans quelques altérations. Certes, ses braves membres se réconcilient autour du sauvetage de l’humanité, leur mission première, possiblement la seule qui ait jamais compté, mais leur appréhension ne concerne plus une force inconnue. Et c’est bien leur fardeau.
Si l’intention se devinait jusque-là sans trop d’efforts, elle est dorénavant au cœur de tout : Isayama recycle la tragédie des frères ennemis, le récit biblique (et déchirant) d’un affrontement entre anciens camarades. Bien entendu, le fratricide passe ici au format titan. Lancés d’un avion en déroute, suspendus à l’ossature du monstre qu’ils doivent abattre, les protagonistes de Shingeki no Kyojin intègrent un ballet aérien aux images délirantes, leurs corps broyés par la vitesse de leurs manœuvres, les lames fendues par le choc de leurs offensives. Pour ceux qui ont la capacité de se métamorphoser, l’affaire est comparable : une bagarre exténuante, interminable, accrochée aux côtes de l’ennemi, dont les courbes gigantesques barrent l’horizon. Autour, il n’y a plus qu’une terre ravagée, fruit de la marche apocalyptique instiguée par le faux héros de cette fable. Un spectacle horrifique que la maison MAPPA étire en scènes supplémentaires, et planétaires, dans le sens du discours philo-historico-politique qui irrigue la série depuis sa quatrième saison. Au cycle de la haine, Hajime Isayama n’apporte aucune solution. L’auteur s’arrête à la description dure d’un héritage sanglant et perpétuel, d’une violence transmissible, d’une enfance pervertie, d’idéaux fanés ou fallacieux. L’homme est un titan pour l’homme. Constat pessimiste, assurément, mais L’Attaque des Titans ajoute néanmoins un zeste d’espoir à ses ultimes images, par soucis de nuance, et s’achève donc sur une touche méta : si l’on ne peut que temporairement résoudre la malédiction de l’humanité, la narration de l’histoire est désignée comme le meilleur moyen de retarder ses effets destructeurs. Dans le texte, les survivants de la guerre espèrent faire perdurer leurs enseignements via le devoir de mémoire. Pour les spectateurs de la série, débutée il y a maintenant dix ans, il s’agira de tirer les bonnes leçons de cette saga intense, captivante et ambitieuse qui n’aura eu de cesse, jusque dans sa scène post-générique, de rompre les chaînes du carcan shōnen. L’apanage d’un chef d’œuvre.