Artemis Fowl, faux départ [Critique]

Si nos salles obscures ont largement souffert du contexte sanitaire, les services de streaming se sont, quant à eux, frottés les mains face à la situation. Nombre de films prévus initialement au cinéma ont plébiscité ce canal pour permettre leur diffusion. C’est le cas du Pinocchio de Matteo Garrone et plus récemment de Scooby !, sortis respectivement sur Amazon Prime et en vidéo à la demande. Artemis Fowl leur emboite le pas, accordant à Disney+ l’ajout d’une nouvelle production à son (maigre) catalogue original.
Du haut de ses 12 ans, Artemis Fowl, enfant brillant et atypique, vit seul avec son père. À la disparition de celui-ci, le jeune adolescent va découvrir l’existence d’un tout autre monde, juste sous ses pieds. S’en suit une course pour retrouver Fowl Senior.
Si nous attendions surtout Kenneth Branagh devant la caméra (et non derrière) cette année, pour son rôle dans le très attendu Tenet de Christopher Nolan, nous le retrouvons ici à la barre d’un projet qui piétine depuis bien des années : en 2001 déjà, des plans d’adaptations de la saga à succès Artemis Fowl étaient annoncés. Le réalisateur britannique repart pour une collaboration avec Disney, faisant suite au remake live-action de Cendrillon. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne crève pas l’écran. Couvrant le premier opus d’une série de huit romans, Artemis Fowl détenait les clés (sur le papier) pour être un blockbuster réussi : l’adaptation d’un best-seller jeunesse à l’histoire dense et imaginative, aux personnages acidulés et à l’univers vaste. Le projet partait sur de solides bases, garantissant aventure et suspens avec une course au McGuffin, le propre de l’histoire étant la recherche d’une relique. Hélas, le film relève plus d’une démonstration technique que d’une réelle adaptation. S’il est facile de comprendre les différents enjeux de l’histoire, ils semblent disloqués, comme expédiés au second plan, au profit de pirouettes visuelles certes sympathiques mais globalement peu originales et impersonnelles.
Le problème majeur de cette adaptation cinématographique réside essentiellement dans le développement de ses personnages. Le garçon éponyme ne brille que dans le titre, largement devancé par d’autres figures plus structurées (telles que le Capitaine Short) ou des têtes hollywoodiennes bien connues (Colin Farrell et Judy Dench, pour ne citer qu’elles). L’acteur principal aime et connaît son rôle, mais manque de lui accorder de l’épaisseur ou une personnalité suffisamment intéressante pour que le spectateur lui témoigne la moindre compassion. N’inspirant ni sympathie ni empathie, rendant ainsi les instants émouvants confus, ou pire, chaotiques et ridicules, ce beau monde alimente un profond désintérêt. Le public ne peut que se sentir à l’écart lors des scènes d’action, au montage charcuté jusqu’à perdre l’illusion du mouvement. Dans la pagaille générale, l’on en oublierait presque l’existence du père et la menace à combattre. Une menace fantoche, par ailleurs, puisque l’antagoniste est risiblement caricatural, jamais terrifiant, et si peu crédible.

Le scénario, produit de trois scénaristes débutants, échoue sur deux points fondamentaux. D’une part, il surexpose (ou sous-expose) ses protagonistes, plombant davantage la chose avec une voix-off complètement facultative. D’autre part, il survole des notions essentielles à la compréhension globale. De surcroît, de nombreuses facilités sont à déplorer. Probablement explicables dans l’œuvre originelle, certaines brèches sont rapidement colmatées par des stratagèmes improbables et des réponses sorties de nulle part. Toutefois, la richesse de l’univers d’Eoin Colfer se ressent, comme le souhait de le retranscrire joyeusement – notamment lors du passage au royaume des fées. L’on discerne l’amour du cinéaste pour le roman dans sa volonté d’introduire au plus vite les éléments sans penser à les expliquer. Malgré quelques choix artistiques hasardeux, l’esthétique générale demeure appréciable. Certaines idées de mise en scène sont séduisantes, notamment la dynamique foraine insufflée lors des transitions entre les mondes. L’étrange usage du noir et blanc, dédié à la scène d’interrogatoire (sur laquelle s’ouvre définitivement le long-métrage), demeure bien moins appréciable, car géré maladroitement.
Alternant entre acteurs renommés et nouvelles recrues, Branagh dirige un casting hétéroclite. Bien que le jeu de Ferdia Shaw – qui campe le héros – soit perfectible, c’est la prestation de la jeune Lara McDonnel qui parvient à se démarquer, apportant à son personnage consistance et affection, éléments étrangers au reste de la troupe. Déjà motivée par la production du second volet, l’équipe du film attendait de pied ferme le retour critique des spectateurs et de la presse. En vue de l’appréciation négative, et du fait qu’elle se multiplie à vue d’œil, l’on se demande si la franchise ne s’arrêterait pas à peine entamée. Pour le moment, Kenneth Branagh prépare son prochain long-métrage, Mort sur le Nil, suite du Crime de l’Orient Express qu’il avait lui-même orchestré en 2017.