Antebellum, cauchemar passé [Critique]

Trois ans après le triomphe critique de Get Out, ses producteurs retournent au thriller politiquement engagé, sans Jordan Peele aux manettes.
Veronica Henley, auteure à succès, se retrouve piégée dans un cauchemar passé, en plein cœur de la période esclavagiste américaine. Elle va devoir percer les secrets de ses tortionnaires pour regagner sa réalité, avant qu’il ne soit trop tard.
Il n’aura fallu que peu de temps à Jordan Peele pour accoucher d’héritiers – du moins, de scénaristes et réalisateurs qui se revendiquent comme tels. Get Out semble, en effet, avoir influencé une nouvelle génération d’auteurs hollywoodiens, prêts à exposer les failles du système américain et son racisme sous-jacent. Croisade louable. Toutefois, si Peele avait su transcender sa chronique horrifique en exposant une réalité effroyable via métaphores et subtilités dérangeantes (ce qui lui a valu l’Oscar du meilleur scénario original), user d’une telle approche – et s’y tenir sans que le jeu de l’allégorie ne devienne lourdeau – n’est pas à la portée du premier venu. Antebellum en est la preuve probante.
Le film de Gerard Bush et Christopher Renz s’organise autour d’un concept attrayant : scruter le présent d’un œil passé. L’idée, édifiée sans une once de finesse, porte ses fruits au cours d’une première partie éreintante, grinçante. Dans une plantation d’autrefois, des esclaves cherchent à percer un mystère bien contemporain. Et puis, le faux pas. Le concept explose de l’intérieur à la suite d’un flashback pataud, long et monstrueusement bavard. L’énigme et le plaisir de l’élucider se désagrègent, la gravité du discours s’évapore, remplacée par une complainte baveuse qui, on le devine, aurait pu se distiller en détails et frapper paradoxalement plus lourdement. Le twist, plutôt malin sur le papier, perd aussitôt de sa saveur. Alors, une fois les enjeux réactualisés, le spectateur propulsé de nouveau dans cette Amérique barbare, le scénario s’échine à raccrocher les wagons, sans parvenir à renouer avec la terreur des débuts.
En guise d’introduction, les deux réalisateurs font dans le démonstratif : un plan-séquence interminable, faufilé entre les baraquements et les cortèges humains. Cette exposition tenue caméra à l’épaule compte parmi les nombreuses pièces d’esbroufe du long-métrage. Antebellum pâtit d’un problème flagrant de mesure, d’une incapacité à restreindre ses pulsions métaphoriques et sanguinaires qui pousse fatalement le long-métrage à franchir la ligne rouge. Jordan Peele s’adonnait lui aussi à de sérieux moments de bravoure, des scènes graphiques qui supposaient un passage au fantastique, déstabilisantes car inattendues dans un thriller crédible. Mais à la différence de Bush et Renz, qui se regardent explicitement filmer, l’ex-humoriste compensait ses images hallucinées par un équilibrage exigeant. Antebellum fonce tête baissée, peut-être pour mieux nous faire oublier ses incohérences et raccourcis disgracieux. Doit-on pour autant bouder ce Twelve Years a Slave bordé d’épouvante ? Autant lui donner une chance, ne serait-ce que pour l’interprétation de Janelle Monáe, convaincante sous ses deux facettes. Éloge qu’il est possible d’étendre au reste du casting.