Cherry, les frères Russo en roue libre [Critique]

Libérés des studios Marvel le temps d’un long-métrage pour Apple, les frères Russo retrouve Tom Holland autour d’un drame fonctionnel mais parfois excessif.
Un aide-soignant militaire est de retour de la guerre en Irak. Atteint de stress post-traumatique, il se met à braquer des banques pour financer sa dépendance aux opiacés.
Peu discrets suite à l’avènement du dernier Avengers, car intimement persuadés d’être les instigateurs d’une grande et profonde révolution artistique et le revendiquant ouvertement aux micros qu’on leur tend, les frères Russo n’ont dissimulé leur fierté d’emplir les poches (déjà pleines à craquer) du studio de Kevin Feige. Voilà cinq ans que le duo de réalisateurs s’est lancé dans l’aventure Marvel, pleinement dévoués à l’extension de l’univers cinématographique en portant la suite trépidante de Captain America et faisant se succéder les opus milliardaires au box-office. Temporairement extirpés des confrontations super-héroïques au profit de la plateforme Apple TV+, les Russo regagnent la Terre, la nôtre, avec l’adaptation du roman autobiographique de Nico Walker, Cherry. Pas de colosse mauve, pas de gemmes magiques : retour au plausible pour les cinéastes, ou presque – ils n’ont pas dirigé un long-métrage non-Marvel depuis 2006. Mais comme s’il était trop pénible de renoncer à leurs poupées chéries, les deux embarquent le jeune Tom Holland, héros des récents films Spider-Man, signant leur quatrième collaboration avec l’acteur britannique. Étoile montante ayant fait le bonheur de Juan Antonio Bayona (The Impossible), James Gray (The Lost City of Z) et Pixar (En Avant), il campe ici un jeune homme déboussolé, engagé dans l’armée américaine pour oublier sa rupture amoureuse, détraqué par son séjour au front, puis devenu criminel pour financer ses consommations illicites. Un parcours de déchéance et détresse psychologique diamétralement opposé à la désinvolture du monstrueux Endgame.
Après avoir aménagé le plus gros succès de tous les temps, le binôme revoie ses ambitions à la baisse et touche à un cinéma plus modeste. Adolescent amoureux, aide-soignant militaire, junkie braqueur de banques : Cherry colle au train de son protagoniste, ratatiné par l’absurdité de la guerre, et n’en décroche pas. La pesanteur du sujet sert de prétexte aux Russo pour rompre avec la procédure édulcorée et mécanique des productions Marvel et marque une incontestable rupture en rapport à leurs précédents ouvrages. Les cinéastes alignent les effets de style, les travellings, les ralentis, les effusions de couleurs et de contrastes, clamant haut et fort que leur cinéma n’est pas mort étranglé. L’ensemble porte ses fruits sur plusieurs séquences – le passage en Irak, qui a probablement creusé le budget – mais peine cependant à tenir la cadence sur les deux heures et demie (excessives) de long-métrage. Cherry finit par souffrir de la sur-esthétisation, qui empiète lourdement sur sa narration chapitrée, et l’aspect démonstratif parti pour être un atout conduit gentiment à l’overdose. Devant la caméra, Holland en sort indemne (contrairement à son personnage) et compose impeccablement toutes les facettes de son rôle, s’éloignant de la combinaison moulante de l’araignée à coups de jurons et mine zombiesque. Aussi attaché aux héros de bandes dessinées que peuvent l’être les Russo, le comédien démontre (une fois encore) ses talents de comédien, dont les aptitudes soutiendront bientôt l’adaptation de la franchise vidéoludique Uncharted. Dans leur sophistication du rien, les frères auront conforté l’idée qu’ils savent diriger un acteur à l’avenir prometteur. C’est déjà ça.