Doctor Strange in the Multiverse of Madness, fou mais pas trop [Critique]

Sam Raimi se plie aux règles du Marvel Cinematic Universe et met en scène la suite de Doctor Strange. Une plongée dans le multivers récréative mais bridée.
Après avoir aidé Spider-Man, Stephen Strange va devoir traverser les dangereuses réalités alternatives du multivers. Il sollicite alors le soutien de Wanda Maximoff, la Sorcière Rouge aux pouvoirs incontrôlables.
Dernièrement, les super-héros Marvel se sont croisés et décroisés, battus et esquintés par-delà les mondes et les écrans. Si l’écrasant Avengers : Endgame symbolisait la fin de cette course à la surenchère, la franchise s’est depuis peu fascinée pour le multivers, un joujou dramaturgique accordant à Kevin Feige (la tête pensante de la saga) l’opportunité d’exaucer ses lubies de fan de comic books. Rodé dans Loki, central à la série d’animation What if… ? et Spider-Man : No Way Home, le principe d’univers parallèles atteint son paroxysme avec Doctor Strange in the Multiverse of Madness, par lequel les studios Marvel entendent céder à toutes les folies. Mélange de licences, carnaval de caméos, uchronies et personnages dédoublés sont justement inscrits au menu. Mais au-delà de son immanquable dimension récréative, l’intérêt cinéphile de ce vingt-huitième opus réside en la présence de Sam Raimi derrière la caméra. On le pensait désintéressé du genre depuis son Spider-Man 3, probablement dégoûté des grosses licences (et des mains qui les couvent), mais le voici qui se plie malignement aux règles du film-épisode en suivant les traces de ses collègues. La première demi-heure est celle d’un Avengers quelconque, avec son invasion de monstres tentaculaires, ses seconds rôles perdus, sa mise en place brusque et ses petites répliques drôles. Une ruse pour nous faire oublier l’irrévérence du metteur en scène qui, en un dialogue, crée la jonction avec son cinéma et nous ramène à sa science de l’image, du cynisme et de la mort. Sans pour autant abandonner ses trucages fadasses, ni se libérer des obligations de l’univers partagé, Doctor Strange 2 s’avère être un blockbuster plein de fougue, d’idées barjos, d’illogisme, qui porte en lui une roublardise qui détonne. C’est aussi la chance d’observer un cinéaste dynamiter l’équation marvelienne de l’intérieur, ou au moins s’y essayer.
Certes, Raimi ne renoue pas (entièrement) avec la bizarrerie funeste de la saga Evil Dead, ni avec la puissance de Spider-Man. Son multivers est restreint à trois décors et leur dose de fan-service, ses protagonistes évoluent à reculons et l’histoire, conçue comme une course-poursuite effrénée au travers de portails magiques, n’est qu’une excuse pour dézinguer à tout-va des figurants et mettre sur pied des séquences qui tirent vers le macabre. C’est quand les cadavres se meuvent, que les trompe-l’œil grouillent et que le ciel rougit que le divertissement prend son sens, que Sam Raimi réalise son propre projet. Le scénario de Michael Waldron emploie le personnage de Wanda Maximoff (aka la Sorcière Rouge) pour cette démonstration de magie obscure que le réalisateur s’amuse à peindre en travellings tordus et gerbes de sang. Campée à la perfection par Elizabeth Olsen, récupérée des décombres nostalgiques de WandaVision, la mère de famille la plus infortunée du Marvel Cinematic Universe traîne son deuil de monde en monde, éclipsant le pourtant imposant Benedict Cumberbatch en étant à la fois le visage le plus complet, familier et touchant de ce delirium multidimensionnel. Tout comme Wanda sert l’horreur (et le culot) du film, le reste des personnages occupe une fonction symbolique et ne peuvent en sortir. Strange, qui porte le poids de ses décisions passées – un pan thématique qui mériterait d’être approfondi –, est là pour nourrir la part mélancolique du long-métrage et sa partenaire hispanophone, l’attachante America Chavez, explique le voyage cosmique de par sa présence. Il faut alors s’en remettre aux zooms de Raimi et aux partitions hallucinées de Danny Elfman pour croire aux affabulations de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, suite qui aurait pu être le vivier ultime des fantaisies super-héroïques, accréditant n’importe quelle adaptation de comic book, mais qui, bridée par un cahier des charges et une continuité à respecter, devrait s’oublier au sein du catalogue Marvel.