Last Night in Soho, hantise nostalgique [Critique]

Fini le pastiche et les courses de voiture : Edgar Wright plonge dans l’horreur avec Last Night in Soho, thriller nocturne, impressionnant et anti-nostalgique dans le Londres des années 1960.
Eloise Turner, jeune femme passionnée de mode et de design, parvient mystérieusement à retourner dans les années 1960 où elle rencontre son idole, une éblouissante jeune star montante.
Épinglé pour son contrôle du rythme et ses montages bouillonnants, Edgar Wright est en réalité un artiste qui prend son temps. Il lui aura fallu trois années pour revenir de Baby Driver, qu’il poursuivra prochainement avec un second volume. Trois années durant lesquels il fut attelé à ce qui se vend comme un saut dans le grand bain. Car si le réalisateur anglais avait déjà mis un pied dans le fantastique et l’horreur avec Shaun of the Dead, voire sa suite officieuse Hot Fuzz, il conservait l’autre dans la mare de l’humour, gardant sous le coude un second degré qui le dépêtrait du danger. Détroussé de ses couples aux répliques graveleuses, ses situations aléatoirement loufoques, ses montages-dynamite, Edgar Wright remonte le temps. Il toque chez les réalisateurs qui ont esquissé son imaginaire macabre, de Lucio Fulci à Dario Argento, leur subtilise psychédélisme envoûtant et cartons multicolores pour matérialiser Last Night in Soho, conçu dans la plus pure tradition du giallo. Héroïne virginale, gerbes d’hémoglobine, bande originale stridente et emportements surnaturels sont inscrits au programme et jalonnent un long-métrage pas si éloigné du récital, le metteur en scène débitant par cœur les leçons de cinéma inculquées par ses films de chevet. Il détourne néanmoins la paraphrase, et ce élégamment, grâce à sa technique virtuose, dont l’ampleur – brouillonnée lors de son précédent ouvrage – ne fut jamais aussi stupéfiante que dans ce Soho des années 1960. Tout de travellings et panoramiques d’une fluidité incomparable, couplée à d’impressionnants trucages à base de (non-)reflets, intimement liée à l’émulation de sa double-protagoniste, la réalisation épouse la fièvre de l’époque. Wright oublie la mesure lorsque ses personnages sont le plus vulnérables, assaillis de visions fantomatiques ou sous le coup des excès qu’on leur impose. Il débride son matériel et sature l’image, arrangée en kaléidoscope flippant. Une retentissante allusion au dernier acte légendaire de Suspiria.
Virée nocturne dans le Londres d’hier et d’aujourd’hui – le film joue, par essence, sur la rupture de temps et de ton –, Last Night in Soho s’arque autour du sentiment nostalgique, brossé tel un piège se refermant sur la jeune Eloise. Dans Le Dernier Pub avant la fin du monde, Wright en soulignait les risques en douceur. Il l’associe ici à une malédiction transmise de génération en génération, chacune convaincue que la précédente fut plus agréable, plus pétillante et facile. L’auteur de Scott Pilgrim accuse l’hypocrisie qui l’accompagne parfois, le déni quant aux ombres du monde d’avant – qu’il condense en une forme masculine et misogyne, un démon dont notre société ne s’est toujours pas libérée et qu’Hollywood tabasse dorénavant par la fiction. Son approche métaphorique de la chose, fantasmagorique quand il s’abstient de subtilité, n’est pas sans rappeler les (bons) travaux de M. Night Shyamalan qui, comme lui, aime à bavarder des marginaux avec une naïveté enfantine. À l’instar de Shaun, Scott ou Baby, Eloise est en décalage avec ses contemporains, une noctambule préoccupée par le passé (comme souvent chez le cinéaste). Thomasin McKenzie, repêchée de Jojo Rabbit, accorde à son rôle une mièvrerie qui convient à ses aspirations d’innocente désappointée, mais l’actrice néo-zélandaise peine à exister quand surgit son double Anya Taylor-Joy, dont la silhouette dodelinante et les cheveux blonds paraissent sculptés pour l’époque. Dans ce manège obscur aménagé à proximité du Perfect Blue de Satoshi Kon, où la future comédienne de Mad Max : Furiosa fait des étincelles, l’on regrette simplement que le dernier quart d’heure manque de justesse et se perde en sur-explication. À trop en dire, Wright saborde un discours qui gagnait à être parabolique.