Terminator : Dark Fate, mécanique enrayée [Critique]

Le souvenir de Genisys est encore brûlant, mais Hollywood n’attend guère : une énième suite à Terminator sort dans les salles obscures du monde entier, chapeautée par Tim Miller. Les tambours du générique retentissent pour la sixième fois, mais avec la même intensité ?
En 1995, Sarah Connor et son fils ont déjoué les plans de Skynet et sauvé l’humanité. Ils mènent une vie tranquille au Guatemala, jusqu’à ce qu’un T-800 les retrouve et abatte John. Vingt-sept ans plus tard, Daniella Ramos est à son tour traquée par un monstre cybernétique, tout en étant protégée par une humaine « augmentée », Grace. S’engage une course-poursuite qui déterminera le futur.
La dernière fois qu’un film estampillé Terminator vit le jour, il eut pour mission de relancer la franchise. L’initiative Genisys tourna court : l’échec au box-office du projet condamna celui-ci, et les deux suites initialement prévues furent annulées. Toutefois, le bilan négatif n’enterra pas la saga – ce serait mal connaître l’industrie hollywoodienne.
Le nom de James Cameron, éloigné de sa création depuis l’impressionnant Terminator 2, affilié à Dark Fate avait de quoi attiser la curiosité, tout comme le retour de Linda Hamilton au casting. Triste que Tim Miller, à qui reviennent les rennes du blockbuster, délivre un métrage aussi insipide et vain, malgré une pyrotechnie entraînante.
Passé les volets initiaux, avec lesquels Cameron redéfinissait le cinéma d’action et de science-fiction, la série fut malmenée (du tout juste sympathique Le Soulèvement des machines à l’oubliable Renaissance) sans retrouver sa splendeur d’antan. Les films Terminator n’auraient-ils plus rien à raconter, plus rien à offrir au septième art ? Tim Miller apporte une réponse en demi-teinte à ces interrogations. Le problème n’est pas du côté du rythme ou de l’action, des arguments ici défendables. C’est l’absence de propos, de substance, qui tire Dark Fate vers une conclusion amère.
Le sixième opus fait suite aux événements du Jugement dernier et propose une chronologie alternée. Ainsi, les trois derniers volets sont écartés et nous retrouvons la Sarah Connor originale, prête à en découdre avec les robots envoyés du futur. Des perspectives inédites se dressent, pour redessiner la saga, la conduire en des terrains neufs et potentiellement plus modernes. C’est ce que tente de faire Miller sur la première partie du film. L’action ne se déroule plus aux États-Unis mais au Mexique, place une femme hispanique comme espoir de l’humanité, n’oublie pas l’importance des smartphones et de la télésurveillance à notre époque, etc. La saga s’adapte à un contexte contemporain et il s’en dégage un réel potentiel, la voie à une refonte nécessaire. Malheureusement, le script ne fait que survoler ses nouvelles thématiques, se satisfaisant à les aligner, en ne prenant jamais la peine des les mettre à profit. Les occasions se présentent, dans ce défilement de violence survitaminé, et les scénaristes les laissent se dissiper. Frustrant à souhait.

Dark Fate ne laisse aucun répit au spectateur, l’embarque dans un scénario effréné qui n’affiche nul temps mort. Indéniablement, l’atout du long-métrage est sa cadence. Le film va à une telle allure qu’on ferait presque l’impasse sur les incohérences qui jalonnent le récit, touchant l’ensemble de la franchise ou étant propres à cette histoire neuve.
L’action est démesurée, dynamique et claire malgré la complexité des mouvements (de caméra ou d’acteurs). Les chorégraphies, étudiées pour coller aux aptitudes des machines, sont retranscrites avec justesse par le metteur en scène, habitué aux combats de surhomme (les frasques de Deadpool furent une bonne école). Miller ne témoigne pas d’une grande originalité, d’instants de réalisation admirables : il fait preuve d’un savoir-faire efficace, occasionnant des images étourdissantes. Des décors moins convenus et plus colorés n’auraient pas été déplaisants. La pauvreté des environnements est un obstacle à la distraction que l’on peut tirer du spectacle. Entrepôts, hangar et cages servent de cadres, et leur tonalité grise conduit à un sentiment saumâtre.
Linda Hamilton rempile, de même que Arnold Schwarzenegger. Les deux vétérans communiquent une envie de renouer avec l’entrain des films originaux, et convainquent sans esbroufe, armés jusqu’aux dents. Le lien qui unit leurs rôles est par ailleurs intrigant, étant naturellement opposés mais aspirés dans une direction commune. Néanmoins, Terminator 6 (ou 3, on ne sait plus) relaie ces icônes au second plan, laissant la place à une génération naissante de héros. Celle qui officie comme la Sarah Connor de 2022 est interprétée par Natalia Reyes. Une transition difficile pour l’actrice colombienne, qui ne parvient pas à s’imposer face à ses collègues. Dysfonctionnement identique pour Mackenzie Davis, à l’allure vive et androgyne, dont le personnage est démuni de prestance et charisme. Enfin, Gabriel Luna prête ses traits au grand méchant, l’invincible modèle Rev-9. Vu dans la série Agents of Shield, le comédien joue convenablement le peu de texte que le script lui fournit (l’essentiel de sa performance est animé numériquement).
Notons que les rôles d’importance sont tenus par des femmes, d’âges et horizons différents. Féministe, le métrage pourrait bien l’être, tant il vise à évincer les figures masculines. Un procédé fréquent ces dernières années, auquel se sont prêtés Ghostbusters et Ocean’s 8.
Peut-on dire que Tim Miller s’est approprié la franchise ? Non, et encore moins qu’il a réussi à relancer la machine. Le cinéaste a officié comme un pantin, un technicien œuvrant pour un stratagème mercantile qui le dépasse assurément. Terminator : Dark Fate, à l’instar d’autres sagas ressuscitées (Men in Black version 2019 est un bon exemple) ne vit que pour servir un intérêt financier. La volonté de renouveler une histoire, que seul James Cameron est parvenu à manipuler, semble particulièrement éloignée des intentions à l’origine de ce sixième chapitre.
Si Dark Fate est un succès au box-office, nul ne doute que les producteurs officialiseront une trilogie, ce que suggérait l’auteur de la saga en interview. Est-ce raisonnable ? Disons qu’il serait judicieux de laisser se reposer nos classiques.