Malcolm & Marie, vibrante autopsie du couple [Critique]

Entre deux saisons d’Euphoria, sous la contrainte du contexte sanitaire, Sam Levinson prend la route du drame conjugal avec Malcolm & Marie. Une nuit envoûtante en compagnie de Zendaya et John David Washington.
Un réalisateur et sa petite-amie rentrent chez eux après une projection de son dernier film. La soirée prend une tournure inattendue lorsque les amoureux s’avouent des vérités difficiles.
Le noir et blanc lui va si bien. Trois ans après Roma (et son Oscar du meilleur réalisateur) et seulement deux mois après le retour de David Fincher au format long (pour Mank), la plateforme de streaming Netflix, couronnée reine des diffusions en ces temps troublés, se paye un nouveau bijou monochrome. C’est dans cette mouvance que Sam Levinson, que l’on pensait définitivement implanté du côté de HBO suite à la psychédélique série Euphorie, présente aux abonnés sa version de Marriage Story – selon ses propres mots –, drame du couple figurant également au catalogue. Tourné secrètement en pleine pandémie et en comité réduit, Malcolm & Marie est un objet né de la contrainte, pensé et cadré sous obligations, restrictions et protocoles. Toutefois, Levinson n’en fait pas le sujet de son défi cinématographique. S’il use du huis clos et des pièces fermées, d’un casting en (très) petit nombre et de moyens modestes, c’est pour faire l’autopsie d’un couple, alors faussement coincé dans la même villa californienne, tout juste rentré d’une avant-première triomphale.
Il est un réalisateur passionné mais égocentrique, travailleur mais obsédé. Elle est une ex-toxicomane, droite mais fragile. Et si le succès du film de Malcolm, survenu après des années d’échecs, semble être une raison louable de célébrer, le plan-séquence d’ouverture induit la fraction entre l’artiste et la jeune femme. Il est mouvement, fièvre et impulsivité. Elle est taciturne, fixe et rationnelle. La caméra suit les pas de danse improvisés, puis revient à l’immobilité, et avec toute la grâce technique qu’on lui reconnaît, Levinson brosse le portrait d’une union dysfonctionnelle, décomposée sur presque deux heures. Sa propension à faire tournoyer la caméra, forme parfois proche de l’expérimentation, s’affaisse, laissant l’atmosphère prendre le pas sur l’agitation. Malcolm & Marie gagne ainsi en élégance, enrobé d’un noir et blanc raffiné, affublé du grain de la pellicule, et l’œuvre respire au rythme de la vie, de la rage, des pleurs, de l’ineffable.
Homme et femme, artiste et muse, Malcolm et Marie croulent sous le poids des étiquettes, une brimade entretenue par l’industrie, empire dévorant que le réalisateur écorche lors des joutes verbales. L’hypocrisie des tapis rouges, le parfum capiteux de la réussite et l’autorité des réseaux sont mentionnés au long de diatribes un brin exagérées mais incarnées. Par effet de ricochet – Levinson conserve le couple en angle de mire –, le long-métrage palpe la responsabilité de l’auteur et de son (prétendu) devoir. Plus la nuit se consume, plus nos protagonistes se délivrent des masques, mis à nu (littéralement). La robe tombe, la cravate se dénoue, et ces comédiens surdoués, ces boules de talent, éclatent. À se demander si cette nuit chaude ne serait pas dédiée à Zendaya, née sous l’étoile Disney, égérie d’Euphoria et bientôt de Dune, et John David Washington, les pieds dans d’autres chaussons que ceux du super-espion de Tenet. Ces amants, dont la complémentarité transcende l’espace, embrassent une sensibilité stupéfiante. Ils dégoisent, fulminent et font de cet exercice de style chaotique un instant de cinéma dense et vibrant.