6 Underground, Michael Bay s’amuse chez Netflix [Critique]

En cette fin d’année, Netflix aura vu son catalogue joyeusement agrémenté. Le résultat d’une collaboration fructueuse avec des réalisateurs de renom, qui se sont prêtés à l’exercice du petit (voire très petit) écran. Après David Michôd (The King) et l’illustre Martin Scorsese (The Irishman), c’est au tour de Michael Bay d’apporter sa pierre à l’édifice avec 6 Underground, machine à explosions comme seul le metteur en scène sait en faire.
Réunie par un milliardaire avide de justice, une équipe de « fantômes », individus officiellement décédés, agit pour combattre de dangereux criminels. Ces experts, désignés comme meilleurs dans leur domaine, vont tenter de destituer un cruel dictateur.
Le père de Transformers et Pearl Harbor s’est vu confier le budget le plus imposant jamais attribué par la plateforme de streaming. Un montant de cent-cinquante millions de dollars, permettant à Bay de faire virevolter décors et véhicules, selon ses envies. Pouvait-on attendre autre chose qu’un blockbuster dynamité à l’extrême et affublé des traits propres au réalisateur ? Inespéré, quand cela synthétise la raison d’être du projet, auquel s’est greffé un casting séduisant. 6 Underground concentre tout ce qui fait le cinéma de son auteur, du grand spectacle brut où l’absence de subtilité se compense par une démarche violente, si abusive qu’elle en devient fascinante. Grossier, assurément, et pourtant attachant.
Le film repose sur un concept éculé : le regroupement de personnalités aux capacités (quasiment) surhumaines, unis dans un but commun. Un postulat qui n’est pas sans rappeler Ocean’s Eleven ou plus tristement Suicide Squad, avec lequel le long-métrage partage quelques traits. Sous bien des aspects, 6 Underground tire vers le film de super-héros ou, de manière générale, le comic book movie. Le chapitrage (aléatoire) du récit n’est pas étranger à ce résultat, donnant l’impression de feuilleter les aventures papiers d’une bande de mercenaires grâce au découpage extrêmement graphique de Bay et la présentation abrupte et textuelle des protagonistes (déjà observable dans le calamiteux Transformers 5). L’ensemble s’articule autour de l’idée du groupe, à la fois dans la définition des axes de narration, via des flashbacks dédiés à chaque membre de l’organisation, mais aussi comme principal vecteur d’émotion (factice, mais l’intention y est). L’on ressent que Michael Bay affectionne ces anti-héros, autant que Rhett Reese et Paul Wernick, ici scénaristes. Les auteurs de Deadpool (dont découle très certainement le projet) façonnent leur Avengers, le gonflant de leur humour, leur ton. L’histoire de prodiges, des profils venus de tous horizons et voués à s’unir. La volonté d’en faire « une famille », pour citer le script, couvre tout un pan de l’intrigue. Volontairement divisés, désignés par des numéros (pour garantir leur sécurité), les « héros » vont sympathiser et apprendre à se serrer les coudes. Un développement de personnage tout juste suffisant pour accrocher le spectateur, pas assez pour susciter l’empathie.
Dans le viseur des agents, le dirigeant cruel d’un pays du Moyen-Orient. Un antagoniste insipide, que Bay aurait parfaitement pu convertir en source d’humour (sans lui ôter sa capacité de nuire) et qui s’efface complètement au fil du récit, remplacé par des sbires nettement moins identifiables et paradoxalement plus mémorables. Cela dit, ce grand méchant est digne de la dimension géopolitique du long-métrage, simpliste ou complètement caricatural. Le tout délicieusement exposé par le dictateur, lorsqu’il évoque son rapport aux États-Unis et la Russie. Sélectionner une telle cible est cependant loin d’être idiot, puisque la nature impossible de la mission amène les mercenaires à effectuer des actions périlleuses et rocambolesques. Un enchaînement de péripéties qui ne manquent pas de faire écho aux frasques de Tom Cruise dans la saga Mission : Impossible, la grâce en moins. Et plus que d’aligner les similitudes à d’autres œuvres du genre, 6 Underground multiplie les références cinématographiques et musicales, dans un désordre total. Des répliques de films oralement citées par les protagonistes aux séquences fortement inspirées – toute une scène ressemble, à s’y méprendre, à l’ouverture de Batman v Superman –, le blockbuster s’empêtre dans un amas de clins d’œil, nettement dispensables, qui n’aide en rien un scénario au rythme hasardeux. Malgré son introduction sur-vitaminée, course-poursuite délirante dans les rues de Florence, le film se perd dans ses nombreuses ramifications, entre les flashbacks incessants et l’avancée de l’intrigue, fatalement laborieuse.

Derrière la caméra, Michael Bay n’a rien perdu de sa fougue. Il demeure une énergie, un style ultra-identifiable, qui aurait facile de virer à l’indigestion si un autre tentait de se l’approprier. De cette mise en scène agressive, de ce montage saccadé, il se dégage un amour profond pour l’action, sa démesure et son grotesque. Les nombreuses caractéristiques du réalisateur se révèlent dès les premiers mouvements, comme si le film ne pouvait exister sans être habillé d’une pyrotechnie gratuite (et finalement salvatrice) et d’hélicoptères au soleil couchant, dans un monde où les images durent rarement plus d’une seconde. Sans oublier la sur-utilisation de morceaux rock, employés pour accompagner un plan percutant. Parmi les excentricités perceptibles, Bay ose la vision subjective, un procédé que les joueurs de Call of Duty (entre autres) ne connaissent que trop bien et qui s’adapte à son délire.
Le casting est naturellement attendu au tournant, la promotion reposant majoritairement sur la présence de Ryan Reynolds. Celui qui prête sa voix à Détective Pikachu, dans le film live-action du même nom, mène la danse comme il sait si bien le faire. Bay ne lui demande rien d’autre que de débiter ses répliques avec son phrasé typique, ce à quoi l’acteur est habitué depuis Deadpool et qu’il exécute sans fulgurance. La française Mélanie Laurent (Inglourious Basterds) et Corey Hawkins (BlacKkKlansman) s’en sortent convenablement, dans des registres différents (et peu élaborés).
Sous peu que l’on affectionne le cinéma de Michael Bay, 6 Underground s’avouera être un divertissement enragé, imposant et maladroit, et dont la véritable richesse provient de sa surenchère constante. Le film s’oubliera plus vite qu’un No Pain, No Gain ou même The Island, la faute à une histoire étourdie et moins captivante. Ou peut-être est-ce la faute de Netflix, qui prive ces images ahurissantes d’éclater en salles obscures, ou elles résonneraient à coup sûr avec davantage d’ampleur. Une question qui mérite d’être posée.