Mank, ou l’amour de la plume [Critique]

Le cinéaste derrière Fight Club nous revient avec Mank, déclaration d’amour aux scénaristes et œuvre exigeante dédiée à l’âge d’or d’Hollywood. Du grand Fincher.
Dans les années 1930, le scénariste Herman J. Mankiewicz est missionné d’écrire le scénario du film Citizen Kane. Cloué dans un ranch isolé suite à un accident de la route, celui que l’on surnomme « Mank » doit malgré tout tenir les délais fixés par le réalisateur Orson Welles, intransigeant. La relation entre l’écrivain et le metteur en scène va se révéler houleuse.
Six années furent nécessaires pour retrouver David Fincher à la barre d’un format long. Six années qui firent de lui le nouvel empereur du petit écran, opérant efficacement pour Netflix (de House of Cards à Love, Death and Robots) qui, pour remercier l’un de ses artisans émérites, lui concéda un caprice de longue date – le scénario de Mank, écrit par Jack Fincher (père de David), traîne dans les tiroirs depuis les années 1990. C’est ainsi que le metteur en scène nous revient, prêt à conter la gestation tortueuse de ce qui est considéré comme « le plus grand film de tous les temps ». Et il convient d’être armé pour assimiler le long-métrage dans toute sa richesse, sa sincérité et son amour pour le travail de la plume, car celui-ci ne manque pas de complexité. L’on pourrait mentionner sa narration à double temporalité, moins ambitieuse que celle qui fit (en partie) la réputation du chef d’œuvre de Welles. Mais ce qui interpelle davantage, et rend quasi-hermétique son onzième film, c’est l’exigence dont fait preuve le réalisateur. Mieux vaut connaître les acteurs de cet Hollywood affolé et en saisir la répartition avant de se lancer, sous peine d’occulter les enjeux et desseins qu’esquisse le script, sillonné de joutes verbales – coutumières dans la méthode fincherienne –, ici principal canal d’informations.
Le père de Seven s’adresse aux cinéphiles, comme Quentin Tarantino a pu le faire avec son passionné Once Upon a Time… in Hollywood, mais à la différence de son confrère, Fincher ne s’adonne à nulle improvisation. Bien au contraire, sa vénération du septième art se traduit par une exactitude ébouriffante. Capté dans un noir et blanc magnifiquement arrangé, Mank restaure l’atmosphère des années 1930 et ses imperfections séduisantes, au point de simuler les rayures et brûlures de cigarettes. Le son est rafistolé dans une veine identique, étayant l’effort de reconstitution jusqu’au-boutiste. En revanche, si la maestria technique met tout autant en lumière les talents du réalisateur que son adoration pour l’exercice, le papier porte l’éloge de façon plus précise. L’âge d’or hollywoodien, Fincher lui taille un costume peu souhaitable. Son verre se tend plutôt au métier de scénariste, à son pouvoir mésestimé. Il compte sur Mankiewicz, interprété par un Gary Oldman irrésistible en écrivain visionnaire et désabusé, pour être l’étendard de son propos – des auteurs dépendent le reste. Mank n’est pas tant l’histoire d’une relation alambiquée entre un cinéaste arrogant (le mythe Welles est piqué au vif) et un artiste que celle d’un homme qui, dans un ultime sursaut, use de son verbe pour dénoncer un système qu’il exècre. Comme un air de vengeance pour celui qui se sera fait écraser par d’avides producteurs lors de la production d’Alien 3, aujourd’hui désavoué.