The Old Guard, produit fade et dépouillé [Critique]

Tirant parti d’un contexte particulier – et maussade pour la grande majorité des industries –, les plateformes de streaming maintiennent les festivités et inondent l’audience de leurs productions originales. Entre deux séries étudiées pour être consommées sans s’échauffer les neurones, Netflix aligne les compilations de cascades internationales. Dernière à monter sur le ring : The Old Guard, produit par et avec Charlize Theron.
Des siècles durant, une équipe de mercenaires immortels a œuvré pour protéger l’humanité. Leurs pouvoirs révélés, le groupe va devoir contrer une firme pharmaceutique avide et faire la connaissance de Nile, nouvelle recrue.
Découlant d’une série de comic books à succès, The Old Guard exhibe une certaine proximité avec Tyler Rake, autre blockbuster disponible sur la plateforme. Outre leurs origines similaires, les deux propositions illustrent les actions pétulantes de personnalités hors du commun. À une seule différence près : en dépit de ses faiblesses flagrantes, le film de Sam Hargrave manifestait de l’amour pour la pyrotechnie et la chorégraphie – au travers de procédés parfois grossiers, certes. Un point, à l’image de nombreux autres, sur lequel The Old Guard fléchit vilainement. Voilà que Netflix semble avoir oublié la fonction et la valeur d’un réalisateur.
Issue du médium télévisuel, Gina Prince-Bythewood se cache derrière la caméra, ayant presque honte de manœuvrer l’objet. Était-ce le budget, plus conséquent qu’à l’accoutumée, ou le poids de l’adaptation, boulet que traînent certains ? La cause est ambiguë, mais l’absence remarquée de la cinéaste new-yorkaise se ressent péniblement. En de brefs instants, l’encéphalogramme indique une légère secousse, traduite par l’apparition d’une séquence musicale, digne héritière des émissions qui font la renommée de MTV. Passé ce détail gênant, et cruellement répété, Prince-Bythewood se contente de laisser l’action prendre forme devant son objectif, secouant le matériel fébrilement, probablement dans l’espoir de travestir l’apathie ambiante. Le concept consituait pourtant le terreau rêvé : l’alliance de combattants exceptionnels, disposant du don divin de résurrection, prêts à déjouer des armées entières. Aussi favorable soit le postulat, The Old Guard n’en tire que l’aspect puéril, celui du défouloir facile, sans même parvenir à rendre celui-ci ludique. Paradoxalement, sortie des plateaux, la fierté s’affiche publiquement. Film de super-héros réalisé par une femme afro-américaine – argument dont s’est emparé le département marketing –, ses artisans revendiquent influences et luttes modernes dans le cadre d’une promotion engagée. En émanent des intentions claires, analogues à l’actualité, écrasées par une technique générique et l’amoncellement d’erreurs sottes.

Hachurée par un montage quasi-sadique, étouffée par un maigre travail des environnements, la trame – signée Greg Rucka, auteur du comics originel – évince toute notion de subtilité et de sous-entendu. L’information, incapable d’être retranscrite par la mise en scène (définitivement inexistante), est explicitée, amplifiée, pour que le public – ici jugé idiot – puisse assimiler les tirades et tourments des divers protagonistes. Ces héros de l’ombre, actifs depuis la nuit des temps, ont traversé l’Histoire, vaincus sur tous les fronts. Le versant glorieux se veut rattrapé par la malédiction de l’immortalité, puisque ces âmes souffrent de solitude et de torpeurs inconsolables. Le thème est effleuré, à l’aide de dialogues risibles et interminables, comme si évoquer la chose aléatoirement – scènes respectables, cela dit – suffisait à densifier la galerie de personnages. Et quand l’enjeu se dessine subitement autour du prétendu mal-être, il est balayé aussi sec d’un terrassant coup de genou, que suspens et intrigues se prennent en plein visage. Rucka tend à répartir équitablement les constantes de son récit, désireux de ne pas faire primer l’action sur le développement. Dessein compréhensible – partagé avec les sommets du genre – mais limité par l’expression brute et la démonstration grossière. Quiconque s’est laissé tenter par le visionnage du premier thriller venu saura prédire les rebondissements qui s’amorcent, déduire un rôle, ne serait-ce qu’à la posture. L’ensemble se noie dans une prévisibilité agaçante, anéantissant l’espoir de surprise et de tension.
Cantonnée aux interprétations athlétiques, Charlize Theron perpétue la voie du muscle, sur le ton de Mad Max : Fury Road (duquel elle ressortait chatoyante). Chris Hemsworth et autres habitués peuvent rougir : l’actrice sud-africaine donne visiblement de sa personne, ravie d’exécuter ses chorégraphies ponctuées d’hémoglobine. L’effort, sabordé par l’incapacité de la réalisatrice à dépeindre la férocité de son sujet, se remarque néanmoins et contribue à la crédibilité du personnage d’Andromaque, chef de meute. Ses collègues suivent avec moins d’entrain, contraints par le texte écœurant et relativement peu convaincus par celui-ci. Retenons, pour des raisons peu enviables, la performance extravagante de Harry Melling (Dudley Dursley de la saga Harry Potter) en Mark Zuckerberg sous acide.
The Old Guard met en exergue les travers du produit Netflix standard, de celui qui alimente le catalogue et surgit chaque trimestre. Pilote automatique activé, techniciens et scénaristes se contentent de cocher les cases, se référant au strict minimum, les doigts croisés pour que la tête d’affiche rameute un nombre suffisant d’abonnés. Si la liberté totale offerte par l’entreprise est une bénédiction pour les réalisateurs inspirés, la tendance laisse pressentir qu’il est plutôt question d’une cour de récréation et d’expérimentation. Énième preuve : d’honnêtes motivations peuvent occasionner ce spectacle décharné, privé de toute substance.
Fabriqué tel le premier opus d’une franchise, le film de Gina Prince-Bythewood prend la peine de planter les graines nécessaires à la floraison de suites. Si le prolongement se concrétise, The Old Guard officiera en tant que tremplin difforme, au potentiel avéré et qui, dans les mains d’auteurs habiles, pourrait occasionner un divertissement respectable. En l’état, la licence s’offre un faux départ foudroyant, qu’il vaudrait mieux taire un (long) moment.