The Old Guard, produit fade et dépouillé [Critique]

Entre deux séries, Netflix aligne les films d’action insipides pour combler son catalogue. Dernier en date : The Old Guard, produit par et avec Charlize Theron.
Une petite bande de mercenaires immortels, dirigée par la redoutable Andy, se bat depuis des siècles pour protéger les humains. Mais tandis que le groupe est engagé pour une mission des plus périlleuses, ses pouvoirs hors du commun sont soudain révélés au grand jour.
Découlant d’une série de comic books à succès, The Old Guard démontre une certaine proximité avec Tyler Rake, autre blockbuster disponible sur la plateforme de streaming. Outre leurs origines similaires, les deux propositions illustrent les actions explosives de personnalités hors du commun. À une seule différence près : en dépit de ses faiblesses flagrantes, le film de Sam Hargrave manifestait de l’amour pour la pyrotechnie et la chorégraphie – au travers de procédés parfois grossiers, certes. Un point, à l’image de nombreux autres, sur lequel The Old Guard fléchit. Netflix semble avoir définitivement oublié la fonction et la valeur d’un réalisateur.
Issue du médium télévisuel, Gina Prince-Bythewood se cache derrière la caméra, ayant presque honte de manœuvrer l’objet. Était-ce le budget, plus conséquent qu’à l’accoutumée, ou le poids de l’adaptation, que l’on sait parfois handicapant ? La cause est ambiguë, mais l’absence remarquée de mise en scène se ressent péniblement. En de brefs instants, l’encéphalogramme indique une légère secousse, traduite par l’apparition d’une séquence musicale, dans la veine des émissions qui font la renommée de MTV. Passé ce détail gênant, la réalisatrice se contente de laisser l’action prendre forme devant son objectif, qu’elle secoue de temps à autre, probablement dans l’espoir de travestir l’apathie ambiante. Le concept constituait pourtant un terreau rêvé : l’alliance de combattants exceptionnels disposant du don divin de résurrection, prêts à déjouer des armées entières à travers les âges. Aussi favorable soit le postulat, The Old Guard n’en tire que l’aspect le plus puéril, celui du défouloir facile. Film de super-héros réalisé par une femme afro-américaine – un argument dont s’est emparé le département marketing –, ses techniciens revendiquent influences et luttes modernes dans le cadre d’une promotion engagée. En émanent des intentions claires et d’actualité, écrasées par une technique générique et l’amoncellement d’erreurs sottes.

Hachurée par un montage sadique, étouffée par un maigre travail des environnements, la trame – signée Greg Rucka, auteur du comics originel – évince toute notion de subtilité et de sous-entendu. L’information, incapable d’être retranscrite par la mise en scène (définitivement inexistante), est explicitée, amplifiée, pour que le public puisse assimiler les tirades et tourments des divers protagonistes. Ces héros de l’ombre, actifs depuis la nuit des temps, ont traversé l’Histoire, vaincus sur tous les fronts. Leur gloire est rattrapé par la malédiction de l’immortalité, puisque ces âmes souffrent de solitude et de torpeurs inconsolables. Le thème est effleuré à l’aide de dialogues risibles et interminables, comme si évoquer la chose arbitrairement suffisait à densifier la galerie de personnages. Et quand l’enjeu se dessine subitement autour du prétendu mal-être, il est balayé aussi sec d’un terrassant coup de genou. Rucka tend à répartir équitablement les constantes de son récit, désireux de ne pas faire primer l’action sur le développement. Un dessein compréhensible mais limité par l’expression brute et la démonstration grossière. Quiconque s’est déjà laissé tenter par le moindre thriller saura prédire les rebondissements qui s’amorcent, déduire un rôle, ne serait-ce qu’à la posture. L’ensemble se noie dans une prévisibilité agaçante, anéantissant l’espoir de surprise et de tension.
Cantonnée aux interprétations athlétiques, Charlize Theron perpétue la voie du muscle sur le ton de Mad Max : Fury Road (duquel elle ressortait gagnante). Chris Hemsworth et autres habitués peuvent rougir : l’actrice sud-africaine donne visiblement de sa personne, ravie d’exécuter ses chorégraphies ponctuées d’hémoglobine. L’effort, sabordé par l’incapacité de la réalisatrice à dépeindre la férocité de son sujet, se remarque néanmoins et contribue à la crédibilité du personnage d’Andromaque, la chef de cette super-meute. Ses collègues suivent avec moins d’entrain, contraints par un texte aux dialogues écœurants. Retenons, pour des raisons peu enviables, la performance extravagante de Harry Melling (Dudley Dursley de la saga Harry Potter) en Mark Zuckerberg sous acide.
The Old Guard met en exergue les travers du produit Netflix standard, celui qui alimente le catalogue et surgit à chaque trimestre. Pilote automatique activé, techniciens et scénaristes se contentent de cocher les cases, se référant au strict minimum, les doigts croisés pour que la tête d’affiche rameute un nombre suffisant d’abonnés. Si la liberté totale offerte par l’entreprise est une bénédiction pour les réalisateurs inspirés, la tendance laisse pressentir qu’il est plutôt question d’une cour de récréation et d’expérimentation. Fabriqué tel le premier opus d’une franchise, le film de Gina Prince-Bythewood prend la peine de planter les graines nécessaires à la floraison de suites. Si le prolongement se concrétise, The Old Guard officiera en tant que tremplin difforme, au potentiel avéré et qui, dans les mains d’auteurs habiles, pourrait occasionner un divertissement respectable. En l’état, la licence s’offre un faux départ foudroyant qu’il vaudrait mieux taire un (long) moment.