Tyler Rake, action en cascade [Critique]

Sous le poids des réclamations, notre Netflix national agrémente son catalogue de productions plus pointues, invitant David Lynch, François Truffaut et Charlie Chaplin à se joindre aux braqueurs espagnols de La Casa de Papel. Un effort admirable qui n’efface pas l’amour de la plateforme pour les programmes prémâchés par son département marketing, produit idéal pour ameuter l’audience.
Lorsque le fils d’un trafiquant de drogue est enlevé, le mercenaire Tyler Rake est missionné pour sauver l’enfant. Une mission dangereuse, aux complications multiples, qui pousse le soldat dans ses derniers retranchements.
Faute de pouvoir compter sur un nom solide – à l’exception de celui de Chris Hemsworth –, Netflix promeut Tyler Rake (Extraction, en version originale) par celui des producteurs, affichant fièrement sa collaboration avec les réalisateurs de Avengers : Infinity War et Endgame, coqueluches du Marvel Cinematic Universe. Bien qu’à l’écriture, les frères Russo laissent le travail de réalisation à Sam Hargrave, collègue cascadeur depuis Captain America : Civil War. Le cas est similaire à celui de David Leitch, coordinateur de cascades avant d’être réalisateur, à l’origine de la franchise John Wick. La tendance veut que les metteurs en scène de demain soit d’anciens chorégraphes, comme si leur compréhension de l’action et du mouvement était gage de qualité, caméra en main. Force est de constater que Tyler Rake, à l’instar de son collègue campé par Keanu Reeves, n’est pas dénué d’intérêt, arborant une violence décomplexée et une volonté certaine d’embarquer le spectateur dans un périple brûlant. Un spectacle boursouflé, sillonné de failles, mais rudement exaltant.
Tyler Rake aurait parfaitement trouvé sa place dans les salles de cinéma, l’été venu. Lorsque les blockbusters se succèdent sur la toile grise et que les explosions font vibrer les sièges. Hargrave ne tarde pas à mettre en place ses enjeux pour élaborer ses montagnes russes, un manège sans halte et aux virages perceptibles à l’avance. L’intention pourrait se résumer au plan-séquence qui survient au quart de l’épopée, à bord d’un véhicule en fuite jusqu’aux toits ébréchés de Bombay. L’exécution renvoie ce geste technique à sa place d’artifice, outil que beaucoup s’accaparent et brandissent comme un argument commercial. Coupes visibles et mouvements maladroits gênent l’immersion, gâcheraient presque l’effort, qui s’étire sur une dizaine de minutes. S’en dégage une prétention manifeste face à cette pyrotechnie incessante et la violence gratuite qui en résulte, grossière mais haletante, et l’on devine un réalisateur fier de sa fanfaronnade. Malgré son manque cruel de minutie, ce défilé chaotique a quelque chose de cathartique. Il en est même le point d’orgue, le sommet d’un amas de barbarie que l’on aurait aimé rencontrer que plus tard, le film ne renouant jamais avec cette intensité dévastatrice. Et l’on en vient à regretter l’épate, le besoin d’ébahir au travers de segments acharnés calqués sur John Wick, ces instants durant lesquels Tyler Rake va s’avérer le plus performant.

Le décor est planté au Bangladesh, abrégé à ses rues criminelles, sous le joug d’un aspirant Pablo Escobar. Des lieux percés par une lumière ocre qui ne lâche que rarement les offensives du protagoniste. À défaut de se forger une identité concrète, le long-métrage tient à conserver sa couleur tout du long, y compris lors de séquences nocturnes, caressant l’idée d’une hostilité intarissable, soulignée par les compositions musicales trépidantes de Henry Jackman (Captain America : Winter Soldier). Bombay prend des airs de forteresse impitoyable, foyer d’une jeunesse de misère et d’armes à feu. Cadre idéal pour démontrer la puissance destructrice du héros éponyme, justicier increvable et terriblement premier degré. Avec un tel guerrier sous la main, Sam Hargrave applique une formule évidente : opposer la cité à l’homme. Rake est loin d’en sortir indemne – ses différentes entailles compliquent les futurs coups –, mais il serait malhonnête de prétendre que tant de talent ne relève pas du divin. L’archétype du surhomme, peu éloigné du super-héros que Hemsworth ne connaît que trop bien.
La rédemption constitue sa différence, dans une moindre mesure. Car le protagoniste est un individu tourmenté, torturé par des souvenirs mélodramatiques. Le script se révèle intéressant quand il superpose les démons de Rake et l’intrigue en cours, une mission qui creuse ses fêlures et lui permet, à demi-mots, d’en guérir. Le schéma est d’un classicisme indubitable. Cependant, cet acheminement alimente une notion centrale au-delà de chaque personnage, primordial ou secondaire à l’ensemble, flotte la question de la paternité. Une thématique qui fait converger les acteurs et leurs contraires, hantise pour certains, fatalité pour d’autres. Le deuil du père, la crainte du fils : les liens naissent de ces conflits internes, effleurés maladroitement par Joe Russo (au scénario), exposés par bribes entre deux fusillades. Peaufiner les personnages est ici une tâche remplie mécaniquement. Tyler Rake se contente du strict minimum et ne se cache pas d’épouser les poncifs du genre.
Les performances discrètes de Golshifteh Farahani, Randeep Hooda et David Harbour sont à notifier, mais elles sont balayées d’un grand coup de pied par Chris Hemsworth, sur qui le film repose entièrement. Interprète de longue date du dieu nordique Thor, membre fondateur des Avengers de Marvel Studios, l’acteur australien met son charisme et ses tripes (il exécute lui-même ses cascades) au service d’une action viscérale, dans un registre qu’il maîtrise complètement.
Flirtant sagement avec des codes éculés, piochés dans les décennies passées, Tyler Rake peine à échafauder sa propre mythologie. Toutefois, le film intervient dans un contexte particulier, précédant un été probablement déserté par les mastodontes hollywoodiens – environnement dans lequel le long-métrage distribué par Netflix se serait intégré à merveille. Sa propension à additionner les chorégraphies déchaînées en aurait fait un concurrent sérieux aux yeux d’un spectateur en quête de confrontations torrentielles. En cela, le long-métrage remplie sa mission. Ni plus, ni moins.