Inception : Christopher Nolan, magicien de l’indice [FOCUS]

L’une des vérités exposées par le septième art est qu’une seconde se fragmente en dizaines d’images, particules imprégnées d’une idée, d’un concept, d’une vision. Il appartient au compositeur de les multiplier, les diviser, mais par delà les nombres, de mettre ces cadres au service d’une intention. Raconter une histoire, transmettre une pensée, dépeindre ou inciser, l’image compte parmi les outils – si ce n’est le seul véritable – les plus éloquents.
La tendance veut que l’on se réfère à ses propositions visuelles marquées, telle une capitale qui se rétracte ou l’apparition impromptue d’un train en pleine fusillade urbaine, et il faut reconnaître qu’avec Inception, Christopher Nolan s’octroie l’opportunité de plans chiadés. Explorer le subconscient de l’être humain et décortiquer la mécanique brumeuse des rêves est une base propice à la représentation de figures impossibles et irrationnelles, ce que le réalisateur de The Dark Knight s’approprie au fil des péripéties. Néanmoins, au gré des mille possibles que présage le principe d’exploitation onirique, Nolan est parvenu à maintenir une esthétique faite de sobriété, usant de la simplicité d’un objet, d’un espace et d’un mouvement pour infuser nos rétines subjuguées.
Le choix de la sobriété permet à une moindre image d’expliciter un processus complexe, que le spectateur ingère (in)consciemment et que le cinéaste se fera un malin plaisir de nourrir au cours du braquage. Parmi ces indices qu’offre généreusement Christopher Nolan, la toupie est de ceux qui sont indissociables du film, tant l’élément et les arcs qui l’accompagnent (essentiellement leur célèbre conclusion) cristallisent l’essence de l’œuvre. De ses maintes survenances, l’une caractérise singulièrement le cheminement qui va suivre et le propre du réalisateur à informer son audience.

Le tournoiement d’une toupie. Description rudimentaire pour une image substantielle.
Le plan intervient à l’ouverture du long-métrage, alors que le protagoniste – tenu volontairement obscur – se dessine graduellement et que l’intrigue se matérialise. Nolan aime s’amuser du temps. Ce n’est un secret pour personne. Aussi, il entame Inception par sa fin, sans même que le spectateur ne puisse le déterminer clairement. Le metteur en scène profite de la confusion – semblable à celle d’un réveil – pour glisser ses trajectoires déterminantes. Un homme échoué, un vieillard le connaissant, une atmosphère pesante et cette toupie qui s’anime incessamment.
Instinctivement, le regard se porte sur le mouvement. Non pas l’avancée de la caméra, qui opère un travelling quasi-indécelable, mais la rotation continue de l’objet, une anomalie physique soulignant l’étrangeté de la séquence. Le Prestige, survenu quelques années plus tôt, enseignait l’art de la surprise et de la distraction, précisant la haute importance de l’attention dans le déroulé d’un tour. S’il n’est ici question de magie, Nolan effectue toutefois le travail d’un prestidigitateur : il dissimule l’évidence en jouant de notre attention. Luttant pour une compréhension totale et limpide de ses mécaniques, le père de Memento ne peut résister au besoin de partager ses secrets avec le public – ce que ses détracteurs aiment désigner. Dans ses heures les plus brillantes, Christopher Nolan s’exécute subtilement. En résulte l’image étudiée.
Ce que véhicule le cinéaste par le prisme de l’insert – plan extrêmement rapproché d’un artefact, abondant chez Nolan – n’est autre que la schématisation de son concept. Une découpe nette de ce qui sera développé sur les deux heures à venir, maquillée par l’attrait du mouvement et la spontanéité du plan, alors présenté dans un enchaînement ouvertement succinct.
Il est encore trop tôt pour que le spectateur puisse assimiler l’image éclatante que lui sert le réalisateur anglais, et pourtant, la structure est manifestement disséquée. Une réalité, celle de la toupie, concrète, tangible. Son reflet, copie fidèle mais affinée, translucide, lissée, dédoublée et irrémédiablement pointée vers l’abîme, les limbes que redoute tout rêveur. D’un plan excessivement épuré, Nolan confie le diagramme de son œuvre. Le réel, net et indéniable, juxtaposé aux songes – et ses échelons verticaux. Pourquoi l’objet ne cesse de tournoyer ? Faisons-nous face aux fabulations du subconscient ? Ces interrogations ne sont pas sujets, bien que surplombant perpétuellement les protagonistes.
Le principe d’information enchevêtrée dans une autre est inhérent au long-métrage, qui voit ses héros traverser des rêves emboîtées. C’est également une démarche récurrente et cruciale dans l’appréhension de celui-ci, soutenue solidement par la mise en scène et le découpage. Exemple édifiant, l’énigme de la réalité et du rêve se résout via cette astuce (Leonardo DiCaprio et son alliance, disparue ou non), mise en abyme ingénieuse.