En Avant, fantasy & cie [Critique]

Tout juste récompensés de l’Oscar du meilleur film d’animation pour Toy Story 4, les studios Pixar redoublent d’efforts pour l’année 2020. Avant Soul de Pete Docter (Là-haut), dont la sortie est prévue pour juin prochain, les créateurs du Monde de Nemo et des Indestructibles se lancent dans l’heroic fantasy avec En Avant, récit fantastique qui pourrait bien compter quelques surprises.
Ian et Barley Lightfoot ont peu connu leur père, décédé alors qu’ils étaient très jeunes. Les deux garçons vivent dans un monde où elfes, lutins et autres créatures cohabitent en harmonie, malgré la disparition de la magie, jadis quotidienne. Le jour des seize ans de Ian, survient une chance pour les frères de revoir leur père, le temps d’une journée.
Ses maigres faits d’armes (un court-métrage Cars et le très dispensable Monstres Academy) prêtaient à l’inquiétude, et pourtant, le défi que synthétisait En Avant ne pouvait qu’alimenter curiosité et intérêt. Pour Dan Scanlon, habitué des studios Disney, donc, il s’agissait d’intégrer un genre inédit au catalogue de la firme à la lampe et d’œuvrer à partir d’un matériau tout à fait original. L’audace paye chez Pixar, puisque leur vingt-deuxième film d’animation regorge de qualité et nourrit un propos édifiant sur notre société, en plus d’offrir aux spectateur une palanquée de péripéties trépidantes. Inférieur aux monuments intemporels que sont Toy Story et Vice-Versa, il rejoint fatalement le camp des volets de second plan, mais demeure irréfutablement convivial. Mineur, mais très sympathique.
L’intérêt premier du long-métrage réside en son concept : proposer de l’heroic fantasy, tournure encore inédite pour la maison Pixar. Mais le postulat ne s’arrête pas là. Non content de suivre les codes propres qui en découlent, Dan Scanlon – également scénariste – intègre des notions et éléments modernes à l’histoire. L’intrigue prend la forme d’une quête, régie par des préceptes et énigmes diverses, à l’image d’un jeu de rôle grandeur nature auquel s’adonneraient les protagonistes. Cependant, nos héros sont ici équipés de téléphones, de voitures et sont loin de la figure standard du preux chevalier ou du magicien empli de sagesse. Les règles de la fantasy se heurtent aux automatismes contemporains, une dissension dont se sert le réalisateur pour construire ses sketchs les plus efficaces mais aussi un discours concret sur notre façon de vivre et d’évoluer. Car si centaures et licornes ne jonchent pas nos rues, notre attrait pour la facilité façonne le quotidien. Précisément le propos du cinéaste qui, en filigrane, tend à prouver que les créatures fantastiques (reflet de l’humanité) troquent leur nature profonde au nom du progrès et de la simplicité. Dénaturés par un mode de vie urbain et synthétique, les monstres d’antan sont travestis en mascottes amusantes, allégorie d’une aseptisation de masse. À mesure que Ian et Barley (respectivement doublés par Tom Holland et Chris Pratt, en version originale) croisent leurs compères, les masques tombent pour que ressurgissent des valeurs oubliées, volontairement éteintes puisque jugées obsolètes.

Joseph Campbell peut être fier : Dan Scanlon et C. S. Anderson suivent ses écrits à la lettre, appliquant rigoureusement une formule simple et qui a fait ses preuves de nombreuses fois. Quiconque est familier avec le monomythe sera peu surpris devant l’avancée des frères, malgré le contexte qui englobe l’aventure. Doté d’un pouvoir nouveau, représenté par un bâton que l’on croirait dérobé au Gandalf de la Terre du Milieu, les héros courent après un artefact qui pourra réaliser leur souhait. Le déroulé est incontestablement prévisible, le script se déchiffrant à l’avance – presque par réflexe. La surprise se joue chez les deux elfes, aux caractères profondément opposés et à l’alchimie décalée. Le tandem apparaît naturellement comme l’un des moteurs narratifs et émotionnels du long-métrage, permettant à l’ensemble d’éviter une redondance plombante – un risque à ne pas négliger. Ian est un adolescent peu confiant, rêveur et timide invétéré. Barley est son parfait opposé, extraverti et imprudent au point que cela devienne dangereux. Une telle différence amène des interactions égayantes (et gênantes, parfois) qui jalonnent leur mission. Les scénaristes ont fait preuve d’intelligence en répartissant équitablement les aptitudes : l’un connaît toutes les règles du monde magique (le savoir), l’autre est capable de manipuler la sorcellerie (la pratique). Une décision astucieuse, qui rend indispensable le binôme. À tour de rôle, Ian et Barley vont résoudre les énigmes en suivant leur instinct (alambiqué, la plupart du temps), ce qui, plus que de contribuer à la progression du duo, fera éclore confiance et complicité.
Ainsi, les personnages principaux jouissent d’un développement sobre et entraînant, ce qui n’est malheureusement pas le cas des figures les encadrant. L’exemple parfait étant celui de Laurel Lightfoot, parent des deux aventuriers amateurs. Compte tenu des enjeux en cours, la mère aurait logiquement dû voir sa trame se densifier, ne se limitant pas à un trait de caractère (plaisant, certes) utile au dénouement. Problème similaire pour l’officier Branco, centaure policier et surtout beau-père des héros, qui aurait mérité des scènes supplémentaires, ne serait-ce que pour interagir avec ces derniers. L’environnement des elfes, outre les indices magiques, est artificiel et trop peu développé pour qu’une fois la conclusion venue, le spectateur puisse saisir pleinement ce qui a été altéré par le voyage, aussi sympathique soit-il.
Toy Story 4 nous prouvait récemment le travail d’orfèvre des techniciens employés par Pixar, à travers des séquences époustouflantes, conjuguant mouvements impossibles et détails ébouriffants. En Avant ne semble bénéficier du même soin, étant toutefois un spectacle sublimement animé et mis en scène. Les textures sont étudiées pour un rendu photo-réaliste, la caméra se glisse partout (l’un des atouts de l’animation) et les décors sont convaincants au plus haut point. En revanche, le design des personnages, plus dépourvus qu’à l’habitude, contraste avec les précédents ouvrages de la firme. Il n’est point question de fluidité ou d’habillage, mais bien d’apparence physique, finalement peu originale et recherchée.
De l’enfantin (et agaçant) Cars au délicieux Ratatouille, Pixar sait faire de chacun de ses chapitres un événement, et En Avant ne manque pas à l’appel. Sur bien des points, le film de Dan Scanlon n’égale pas ses aînés – il faut dire que la barre est haute – mais maintient son cap avec tant d’entrain qu’il est difficile de bouder son plaisir. Une petite réussite reste une réussite.