En Avant, fantasy & cie [Critique]

Tout juste récompensés de l’Oscar du meilleur film d’animation pour Toy Story 4, les studios Pixar redoublent d’efforts pour l’année 2020. Avant Soul de Pete Docter (Là-haut), dont la sortie est prévue pour juin prochain, les créateurs du Monde de Nemo et des Indestructibles se lancent dans l’heroic fantasy avec En Avant, récit fantastique qui pourrait bien compter quelques surprises.
Dans la banlieue d’un univers imaginaire, deux frères elfes se lancent dans une quête extraordinaire pour découvrir s’il reste encore un peu de magie dans le monde.
Ses maigres faits d’armes (un court-métrage Cars et le très dispensable Monstres Academy) prêtaient à l’inquiétude, et pourtant, le défi que synthétisait En Avant ne pouvait qu’alimenter curiosité et intérêt. Pour Dan Scanlon, habitué des studios Disney, donc, il s’agissait d’intégrer un genre inédit au catalogue de la firme à la lampe et d’œuvrer à partir d’un matériau tout à fait original. L’audace paye chez Pixar, puisque leur vingt-deuxième film d’animation regorge de qualité et nourrit un propos édifiant sur notre société, en plus d’offrir aux spectateur une palanquée de péripéties trépidantes. Inférieur aux monuments intemporels que sont Toy Story et Vice-Versa, il rejoint fatalement le camp des volets de second plan, mais demeure irréfutablement convivial. Mineur, mais très sympathique.
L’intérêt premier du long-métrage réside en son concept : proposer de l’heroic fantasy, tournure encore inédite pour la maison Pixar. Mais le postulat ne s’arrête pas là. Non content de suivre les codes propres qui en découlent, Dan Scanlon – également scénariste – intègre des notions et éléments modernes à l’histoire. L’intrigue prend la forme d’une quête, régie par des préceptes et énigmes diverses, à l’image d’un jeu de rôle grandeur nature auquel s’adonneraient les protagonistes. Cependant, nos héros sont ici équipés de téléphones, de voitures et sont loin de la figure standard du preux chevalier ou du magicien empli de sagesse. Les règles de la fantasy se heurtent aux automatismes contemporains, une dissension dont se sert le réalisateur pour construire ses sketchs les plus efficaces mais aussi un discours concret sur notre façon de vivre et d’évoluer. Car si centaures et licornes ne jonchent pas nos rues, notre attrait pour la facilité façonne le quotidien. Précisément le propos du cinéaste qui, en filigrane, tend à prouver que les créatures fantastiques (reflet de l’humanité) troquent leur nature profonde au nom du progrès et de la simplicité. Dénaturés par un mode de vie urbain et synthétique, les monstres d’antan sont travestis en mascottes amusantes, allégorie d’une aseptisation de masse. À mesure que Ian et Barley (respectivement doublés par Tom Holland et Chris Pratt, en version originale) croisent leurs compères, les masques tombent pour que ressurgissent des valeurs oubliées, volontairement éteintes puisque jugées obsolètes.

Joseph Campbell peut être fier : Dan Scanlon et C. S. Anderson suivent ses écrits à la lettre, appliquant rigoureusement une formule simple et qui a fait ses preuves de nombreuses fois. Quiconque est familier avec le monomythe sera peu surpris de l’avancée des frères, malgré le contexte qui englobe l’aventure. Doté d’un pouvoir nouveau, représenté par un bâton que l’on croirait dérobé au Gandalf du Seigneur des anneaux, les héros courent après un artefact qui pourra réaliser leur souhait. Le déroulé est incontestablement prévisible, le script se déchiffrant à l’avance – presque par réflexe. La surprise se joue chez les deux elfes, aux caractères profondément opposés et à l’alchimie décalée. Le tandem apparaît naturellement comme l’un des moteurs narratifs et émotionnels du long-métrage, permettant à l’ensemble d’éviter une redondance plombante – un risque à ne pas négliger. Ian est un adolescent peu confiant, rêveur et timide invétéré. Barley est son parfait opposé, extraverti et imprudent au point que cela devienne dangereux. Une telle différence amène des interactions égayantes (et gênantes, parfois) qui jalonnent leur mission. Les scénaristes ont fait preuve d’intelligence en répartissant équitablement les aptitudes : l’un connaît toutes les règles du monde magique (le savoir), l’autre est capable de manipuler la sorcellerie (la pratique). Une décision astucieuse, qui rend indispensable le binôme. À tour de rôle, Ian et Barley vont résoudre les énigmes en suivant leur instinct (alambiqué, la plupart du temps), ce qui, plus que de contribuer à la progression du duo, fera éclore confiance et complicité.
Toy Story 4 nous prouvait récemment le travail d’orfèvre des techniciens employés par Pixar, à travers des séquences époustouflantes, conjuguant mouvements impossibles et détails ébouriffants. En Avant ne semble bénéficier du même soin, étant toutefois un spectacle sublimement animé et mis en scène. Les textures sont étudiées pour un rendu photo-réaliste, la caméra se glisse partout (l’un des atouts de l’animation) et les décors sont convaincants au plus haut point. Alors, même si moins impressionnant que d’autres chapitres du studio, le film de Dan Scanlon parvient à s’imposer en tant qu’événement du cinéma d’animation, en maintenant notamment son cap avec entrain. Une petite réussite reste une réussite.