Invisible Man, la menace fantôme [Critique]

Vous n’avez pas pu le manquer ! Avant sa sortie dans nos salles obscures, le dernier film de Leigh Whannel – acolyte de James Wan et acteur principal du premier volet de Saw – faisait déjà parler de lui. L’homme invisible s’est rendu visible partout : les rues, les stations de métro, les autobus, en prenant grand soin d’adapter l’accroche à son support. Jouer sur l’invisibilité du protagoniste redouté, c’était permettre l’horreur dans le réel, fondue dans les lieux du quotidien, et attiser par la même occasion nos curiosités. Mais Invisible Man est-il à la hauteur de sa campagne alléchante ?
Détruite par l’emprise d’un homme toxique, Cecilia cherche à s’en défaire. À l’annonce de son suicide, soulagée, elle réapprend à vivre. Entre séquelles du passé et menace tangible, l’effroi culmine. Commence un combat pour la vérité.
L’audience habituée aux fast-foods horrifiques, les nouveautés peinent à surprendre. Jumpscares à outrance, scripts invraisemblables et menaces illustrées plutôt que suggérées font partie intégrante de bon nombre de ces œuvres, devenues des attractions pour leurs spectateurs. Un train fantôme cinématographique, où les frayeurs prennent régulièrement le dessus sur la pertinence du récit.
A contrario, Invisible Man a le mérite de s’approprier des codes efficaces – sans révolutionner le genre – pour dépeindre un scénario aux thèmes terriblement actuels. Suffisant pour se positionner parmi les must-sees horrifiques de l’année.
Les mouvements féministes et la libération générale de la parole des femmes font germer des questionnements, sur la place de celles-ci dans les relations humaines (et à fortiori amoureuses) ou encore sur les violences sociales et conjugales qu’elles subissent. Le film s’inscrit dans ces thématiques et traite avec pertinence le sujet de la dépendance et du pervers narcissique : le costume d’invisibilité est une allégorie de l’omniprésence du bourreau dans la vie de sa victime. Le harcèlement est moral, imperceptible à l’œil nu. Tapi dans les recoins de chaque pièce, il pousse la victime dans ses retranchements, ne lui faisant aucun mal physiquement identifiable mais exerçant une pression insurmontable par sa simple présence, et pulvérisant son entourage, totalement désorienté. Il provoque une anxiété profonde, un isolement forcé, la perte des repères et, d’un geste fallacieux, le sentiment que le problème provient de la victime.

L’inspiration tirée du prodige éponyme, réalisé quatre-vingt-dix ans plus tôt par James Whale, est évidente. Les références y sont nombreuses, limpides et parfois subtiles. Cependant, si le concept est sensiblement identique, le choc des années se fait ressentir dans la façon de traiter les thèmes et surtout le monstre. Au premier plan dans le film de 1933, il devient secondaire dans celui-ci, prétexte pour faire évoluer son véritable protagoniste : une femme qui cherche à en réchapper. À une époque où ces mouvements de libération s’imposent, il est intéressant d’observer leurs conséquences sur l’art, et les changements probants qu’ils engendrent. Peut-on toutefois dire que Invisible Man est un film engagé ? Certainement pas. Il démontre néanmoins l’incidence du contexte sur l’œuvre. Ce n’est pas un hasard si l’actrice principale est incarnée par Elisabeth Moss (The Handmaid’s Tale), activiste féministe revendiquée.
En dehors de ces aspects, et du point de vue de la mise en scène, l’articulation est classique et efficace. Les plans sont volontairement asymétriques pour laisser place au vide, suggérant la position d’un personnage. Leigh Whannel gère ses espaces avec brio : le rien se mue en menace. Dès l’ouverture, le danger est constant, forçant le spectateur à se concentrer sur les décors, les coins inexploités, plus que sur la protagoniste. Relativement épurés, ces cadres rendent l’identification des mouvements difficile. Faire d’un homme invisible un antagoniste, c’est accorder aux décors un rôle prédominant au sein d’une séquence, égalant celui d’un acteur, en jouant sur la présence ou non du monstre dans l’objectif. La tension est palpable, permettant des scènes d’angoisse percutantes et un rythme soutenu, et ce malgré la durée du long-métrage. Les plans en vue subjective confèrent une dose d’anxiété supplémentaire, la vision humaine ne couvrant pas l’ensemble d’un lieu.
Cette ambiance, rondement maintenue, compense les quelques facilités du scénario, jusqu’au dernier tiers du film. En effet, à l’heure de l’acte final, le récit et la mise en scène prennent une direction différente : l’on passe de la suggestion à la démonstration, de l’ambiance à l’action, favorisant l’apparition de scènes futiles. Ce qui faisait la force de Invisible Man est délaissé, au profit du spectacle. La conclusion se mure dans un entre-deux, sans prendre de décision cohérente. Là où l’histoire aurait pu proposer une solution viable pour sa protagoniste (et par extension, pour les victimes de l’autre côté de l’écran) ou au contraire, l’impossibilité pour elle de s’en sortir, il choisit l’immoral. Goût amer pour un long-métrage qui comptait de nombreuses qualités.
Il serait donc exagéré de considérer Invisible Man comme une référence du genre, mais il n’en demeure pas moins un film terrifiant et intéressant, doté de bonnes idées scénaristiques et thématiques, ancrés dans un contexte plus que moderne. Préférable aux propositions les plus récurrentes, assurément.