Invisible Man, la menace fantôme [Critique]

Vous n’avez pas pu le manquer ! Avant sa sortie dans nos salles obscures, le dernier film de Leigh Whannel faisait déjà parler de lui. L’homme invisible s’est pour ainsi dire rendu visible partout : les rues, les stations de métro, les autobus, en prenant grand soin d’adapter l’accroche à son support. Jouer sur l’invisibilité du protagoniste redouté, c’était permettre l’horreur dans le réel, fondue dans les lieux du quotidien, et attiser par la même occasion nos curiosités. Mais Invisible Man est-il à la hauteur de sa campagne alléchante ?
Après le suicide de son ex-compagnon toxique, lequel lui a laissé une part importante de son immense fortune, Cecilia commence à se demander s’il est réellement mort.
Le cinéma d’horreur populaire a pris une tournure de fast-food avec ses films prémâchés et sans saveur, si bien que les nouveautés peinent désormais à surprendre. Jumpscares à outrance, scripts invraisemblables, poupées hantées et satanisme de comptoir comptent parmi les éléments récurrents d’un genre devenu une attraction foraine pour une partie des spectateurs. Un train fantôme cinématographique où l’effroi prend le dessus sur la pertinence de ce qui est raconté. A contrario, et bien qu’il se base sur un mythe poussiéreux, Invisible Man a le mérite de s’approprier les gimmicks modernes, sans pour autant réinventer la formule, pour dépeindre un récit aux thèmes terriblement actuels. Suffisant pour se positionner parmi les must-see horrifiques de l’année.
Les mouvements féministes et la libération générale de la parole des femmes ont fait éclore une petite révolution : désormais, l’industrie hollywoodienne s’interroge sérieusement quant à la place de celles-ci dans les relations humaines (et a fortiori amoureuses) et des violences conjugales qu’elles subissent quotidiennement. Le long-métrage de Leigh Whannel s’inscrit dans cette mouvance globale et traite avec pertinence le sujet de la dépendance et du pervers narcissique : le costume d’invisibilité est ici une allégorie de l’omniprésence du bourreau dans la vie de sa victime. Le harcèlement est moral, insidieux, imperceptible à l’œil nu. Tapi dans les recoins de chaque pièce, l’homme invisible est un monstre conjugal, poussant sa cible dans ses retranchements, ne lui faisant aucun mal physiquement identifiable mais exerçant une pression insurmontable de par sa simple présence, pulvérisant un entourage pour que le problème semble venir de la proie et non des sévices qu’elle affronte.

L’influence du chef d’œuvre éponyme, réalisé quatre-vingt-dix ans plus tôt par James Whale, est évidente. Les références y sont nombreuses, limpides et parfois subtiles. Cependant, si le concept est sensiblement identique, le choc des années se fait ressentir dans la façon de traiter les thèmes et surtout le monstre. Au premier plan dans le film de 1933, il devient secondaire dans celui-ci, prétexte pour faire évoluer sa véritable protagoniste : une femme qui cherche à en réchapper. Les mouvements de libération ont changé la face du prédateur, toujours un savant fou mais ici représentation pure de ce que #MeToo visait à dénoncer. Ce n’est pas un hasard si, par ailleurs, le rôle principal est revenu à Elisabeth Moss (The Handmaid’s Tale), une activiste féministe revendiquée qui fait des merveilles devant la caméra.
Côté mise en scène, le petit protégé de James Wan se montre efficace. Ses plans sont volontairement asymétriques pour laisser place au vide, suggérant une présence dérangeante. Leigh Whannel gère ses espace avec brio, le rien se mue en menace. Relativement épurés, les décors se dispensent de détails pour que l’identification des mouvements soient encore plus complexes. Faire d’un homme invisible un antagoniste, c’est accorder aux lieux un rôle prédominant, égalant parfois celui d’un comédien. Tension palpable, rythme soutenu, acteurs à cran : l’angoisse est communicative. Les plans en vue subjective, nous glissant dans le rôle du persécuté, confèrent une dose d’anxiété supplémentaire. Le champ de vision humain n’a jamais paru aussi restreint.
Cette ambiance grave compense les quelques facilités du scénario, au moins jusqu’à son dernier tiers. À l’heure de l’acte final, le récit et la mise en scène prennent une autre direction. Invisible Man passe de la suggestion à la démonstration, de l’atmosphère à l’action, favorisant l’apparition de scènes futiles. Ce qui faisait la force du long-métrage est délaissé au profit du spectacle. La conclusion sur mure dans un entre-deux, laissant un vilain arrière-gout. Il serait donc exagéré de considérer le dernier ouvrage de Leigh Whannel comme une nouvelle référence du genre, mais il n’en demeure pas moins un film terrifiant et pertinent, doté de bonnes idées thématiques, ancré dans un contexte ultra-moderne. Préférable à ce qui peut se produire à côté, assurément.