Stranger Things 3, la série tourne en rond [Critique]

Argument phare de la plateforme qui lui a permis de voir le jour, Stranger Things revient après deux ans d’absence pour une troisième saison. L’attente fut longue pour ses millions de fans. Ont-ils été récompensés dignement ? Bonne question.
Été 1985. Pensant être débarrassé du monde à l’envers et de ses sordides créatures, le groupe d’amis que forment Eleven, Lucas, Will, Mike, Dustin et Max profite des beaux jours, sans se méfier de la menace qui grandit, tapis dans l’ombre.
Stranger Things n’est pas moins que la série diffusée en streaming la plus regardée au monde. Avec un tel succès, il serait facile de céder à la facilité, en multipliant les saisons à une vitesse folle (chose assez courante, précisons-le). Netflix a soigneusement évité ce piège, laissant le temps qu’il faudrait aux frères Duffer pour façonner une troisième saison à la hauteur. Deux ans de préparation auront ainsi été nécessaires aux showrunners pour aboutir à ce résultat. Regroupés en un recueil baptisé Strangers Things 3, les huit derniers épisodes (en date) forment tristement la moins bonne saison de la série. Décevant, mais tout de même plaisant, grâce à un savoir-faire inchangé.
Après une première saison époustouflante, surprise de l’été 2016, Matt et Ross Duffer avait accouché d’une deuxième partie sous forme de prolongation. La suite du récit était savoureuse, riche en rebondissements et révélations, mais elle restait avant tout une extension dispensable, tant l’histoire d’origine se suffisait à elle-même. La saison 3 était alors particulièrement attendue, car c’est elle qui devait symboliser le rebond, le script qui ouvrirait de nouvelles portes et garantirait l’avenir de la série. Pourtant, une fois le générique de fin arrivé, l’on ne peut s’empêcher de penser que Stranger Things tourne méchamment en rond.
Le show s’est enfermé dans son propre concept, l’idée ingénieuse de placer un groupe d’enfants au milieu de phénomènes surnaturels, en rendant hommage à toute une époque – en l’occurrence, les années 80. La deuxième saison n’avait, en ses grands moments, que singé la première, et il en est de même pour la troisième. Basé sur un prétexte quasi-risible (l’armée russe s’amuse à ouvrir des failles conduisant à la dimension obscure), le récit ne se ré-invente pas et réitère les mêmes péripéties. Les monstres sont plus gros, les personnages gagnent en maturité, mais le changement est trop moindre pour déceler une quelconque révolution. Preuve en est, quand la série cherche à se détacher de ses repères, la confusion l’emporte. La mise en place de l’intrigue est laborieuse, s’étalant sur quatre épisodes (soit la moitié de la saison, quand même) qui figurent potentiellement comme les moins pertinents. La faute à une écriture manquant amèrement de finesse et surexploitant des thématiques limitées.

La majeure partie de Stranger Things 3 est centrée sur l’amour juvénile, les sentiments éphémères de la jeunesse, accentués par la chaleur des mois d’été. L’évolution des héros implique des changements d’intérêts (les plateaux de Donjons et Dragons prennent la poussière), et les « petits-amis » prennent une place prédominante dans l’esprit des garçons d’Hawkins. Les frères Duffer abordent ce nouvel état d’esprit jusqu’à laisser ces idées gagner une ampleur considérable et envahissante. Les couples se font et se défont, au point que cela se mue en une gimmick scénaristique à part entière, éclipsant les incidents paranormaux. Un déséquilibre se forme entre les diverses facettes de l’histoire, complètement effacé (par chance) à mesure qu’elles se rejoignent.
Ne pas évoluer pose un problème conséquent sur la question de l’originalité, mais laisse aussi présager du positif : Stranger Things conserve ses qualités, ces atouts qui ont fait son triomphe. La série maintient son ambiance spécifique, hommage vibrant et sincère aux œuvres de Stephen King, John Carpenter ou encore Steven Spielberg. Les références manquent à l’évidence de subtilité, du Terminator russe aux possessions zombiesques, sans entacher la trame globale. Cela ne tourne jamais à la parodie, car l’ensemble transpire la bonne intention, parfois même à l’excès.
Le programme Netflix continue de puiser son essence dans les années 80, ses tendances et ses exubérances. Beaucoup d’autres œuvres ont dérisoirement essayé de maîtriser la période et de se l’approprier, sans qu’aucune ne parviennent à égaler le travail des frères Duffer. La saison 3 s’avère digne des précédentes sur ce point, même si l’atmosphère musicale se veut plus discrète qu’à l’habitude. Les mélodies se font plus rares, les synthétiseurs servent davantage à l’habillage sonore.
Une erreur vient toutefois se glisser dans ce qui était sans aucun doute l’atout phare du show : sa galerie de protagonistes. Ils sont désormais si nombreux qu’il serait décourageant de les énumérer. Leur grand nombre implique un découpage intensif, une décision qui annihile tout développement et accentue l’unilatéralité des personnages. Ces derniers ne vivent qu’au travers d’un unique trait de caractère qui les définira jusqu’au générique final. Mike est amoureux, Will sert de radar, Joyce est hystérique, etc. Manipulant leurs pantins par dizaines, les scénaristes s’en tiennent au minimum. Cependant, les interactions subsistent, ces liens chaleureux qui amènent naturellement de l’humour et de l’émotion au sein du récit. Les personnages se lissent sans y laisser leur connexion avec autrui (un élément substantiel dans l’univers de Stranger Things, où l’amitié est reine).
Les mécanismes sont encore opérationnels, l’histoire emporte sans difficulté, mais il serait préférable de voir le show modifier sa trajectoire. Si la troisième saison se révèle être la moins percutante, c’est qu’elle n’ose pas emprunter le chemin le plus audacieux et reste dans une zone de confort déjà bien creusée. La magie ne s’est pas envolée, elle s’effrite simplement. Deux saisons, c’est ce qu’il reste à Matt et Ross Duffer pour se ressaisir et sortir d’une prison qu’ils ont eux-mêmes façonnée.