Black Panther : Wakanda Forever, le deuil des super-héros [Critique]

Ryan Coogler affronte la perte tragique de Chadwick Boseman en l’incluant à son scénario. Black Panther : Wakanda Forever n’en est que plus sérieux, plus ambitieux aussi.
Alors que le peuple du Wakanda s’efforce d’aller de l’avant après la mort du roi T’Challa, Namor, le roi de Talocan venu des profondeurs, déclare la guerre à la nation.
La suite de Black Panther porte peut-être en elle le défi le plus ardu de la franchise Marvel, un défi plus audacieux que d’ouvrir les vannes du multivers, plus périlleux encore que de se lancer à la conquête du marché du streaming : rebondir après une production sérieusement fragilisée par la disparition tragique de Chadwick Boseman, survenue en août 2020, sur qui tout (ou presque) reposait. S’il fut un temps envisagé de remplacer l’acteur, apparu dans quatre films (importants) de la saga, le metteur en scène Ryan Coogler décide d’affronter le décès de son comédien principal en intégrant cet événement tragique à son script réagencé en urgence. C’est donc en blockbuster endeuillé que se présente Black Panther : Wakanda Forever, film ayant la double tâche de composer un grand spectacle crédible en l’absence de son héros et de lui rendre le plus vibrant des hommages au cours de ses deux heures et demie. Le réalisateur n’y laisse entrer la moindre grossièreté, la moindre parodie de super-héros, la moindre dédramatisation. L’heure n’est pas à la déconnade grasse façon Thor : Love and Thunder, mais aux tourments on ne peut plus sérieux d’une nation privée de son leader, ébranlée par les conséquences de son ouverture sur le monde et le passage d’un certain titan mauve. Le long-métrage vient ainsi prendre la température de cet univers afro-futuriste désemparé, pris malgré lui dans une intrigue géopolitique anxiogène et une impasse idéologique avec le royaume aquatique de Talocan (la grande nouveauté de cet opus), à qui la situation exige de relever la tête et de résoudre ses traumatismes. C’est sur ce terrain psychologique que cette suite se montre la plus persuasive, en prenant le temps d’écouter, ou de raconter en silence, ses (nombreux) personnages. Sur le modèle du volet précédent, Wakanda Forever réserve à ses héros un traitement shakespearien en faisant se télescoper leurs responsabilités royales et le drame familial sous-jacent, en creusant les thèmes de la transmission et du pouvoir, comme de la nécessité, des icônes. Le film parle finalement de lui-même en s’interrogeant sur le besoin d’un successeur au Black Panther et sur les significations réelles du costume, une problématique méta qu’il comble avec un tsunami d’émotion et une pléiade d’actrices.
Car Black Panther : Wakanda Forever est un film de femmes, fortes, débrouillardes, géniales. Jusque-là éclipsées par le héros éponyme, elles gagnent en épaisseur dans ce semi-reboot qui, de par sa dynamique de groupe, évoque les meilleurs instants de cohésion des films Avengers et profite de leurs passes d’armes pour reconsidérer le super-justicier d’aujourd’hui, moins bodybuildeur en collants qu’adolescentes en armure high-tech. Et le blockbuster ne fait pas que recycler ses anciens seconds rôles puisqu’il intronise deux visages neufs à l’écran, et qui devraient compter lors des prochains rassemblements déguisés : Riri Williams, jeune prodige rivalisant avec Tony Stark, et Namor, héros culte des comic books réinventé pour l’occasion. Celui-ci récupère la place de Killmonger en antagoniste charismatique, sévère mais empli de bonnes intentions, convaincant en roi maya (la performance de Tenoch Huerta aide beaucoup) et dont les capacités surnaturelles servent de tremplin à une multitude de scènes d’action. Pour le pire, Wakanda Forever n’oublie pas d’être une production Marvel, contrainte d’additionner les courses-poursuites et de perdre l’équilibre lors du dernier acte, mettant en scène une autre de ces batailles sur fonds verts où les enjeux disparaissent sous l’empilement de mauvais effets et de coupes agaçantes. À croire que Ryan Coogler a perdu la main après avoir rangé les gants de Creed, ici incapable de présenter une chorégraphie de combat sans nuire à sa fluidité ou à sa lisibilité. Sa caméra épaule convient mieux à ses séquences d’infiltration, tendues, les aventures de Black Panther piochant toujours chez James Bond et jouissant, comme souvent avec l’agent 007, d’un décorum à tomber par terre. Des rues exotiques du Wakanda à la cité engloutie qui menace d’émerger et noyer la surface, le trentième film du Marvel Cinematic Universe entretient les apparences et se paye le luxe d’être le plus accompli des produits de cette quatrième phase.