Thor : Love and Thunder, le cirque des dieux [Critique]

Persuadé de tenir le bon filon, Taika Waititi décape la mythologie nordique encore plus lourdement que dans Ragnarok. Le quatrième Thor est une vaste blague.
Alors qu’il est en pleine introspection suite au combat contre Thanos, Thor sort de sa retraite quand un tueur de dieux commence à décimer les siens. Pour l’affronter, le fils d’Odin requiert l’aide de Jane Foster, devenue récemment une super-héroïne.
De l’opéra spatio-épique au film à sketch super-héroïque, il n’y a qu’un réalisateur néo-zélandais répondant au nom de Taika Waititi. Sous sa plume, le dieu de la foudre a refourgué sa suffisance, sa présomption et sa raideur – des attributs qui en faisaient un Avengers peu avenant contrairement à ses collègues terriens – pour incarner le héros marvelien par excellence. Le genre à déconstruire la dramaturgie d’une séquence grandiose en un jeu de mots et un regard caméra. Depuis, Thor est passé dans les mains des frères Russo, a traversé deux films Avengers qui ne l’ont pas épargné, perdu un frère, quelques parties de Fortnite et son entrain de viking. C’est ainsi que le repêche Waititi au début de Thor : Love and Thunder, la quatrième aventure en solitaire du fils d’Odin, mais son épisode dépressif n’est que succinct. Une scène d’exposition narrée par Korg (le cinéaste joue lui-même l’alien) et nous revoilà au commencement, aux monologues mi-philosophiques mi-débiles, aux castagnes surréalistes et à cette version clownesque du personnage, dont les biceps sont si massifs qu’ils manquent plus d’une fois d’éclater à l’écran. Ce retour à la case départ en dit long : si Ragnarok tendait à défaire une mythologie pour la rebâtir aux nouvelles normes de la licence, encore plus cosmique et carnavalesque (merci James Gunn), cette suite se fiche de ce qui précède et suivra. Le scénario prend le parti de reformuler (pour ne pas dire railler) ce qui fut mis en place chez Branagh et Taylor, de réécrire la génétique des héros quitte à réveiller Jane Foster, l’ex-petite amie qui avait disparu des radars, le tout en voulant faire cohabiter ineptie et tragédie. Mais le blockbuster ne trouve jamais l’équilibre après lequel il court, incapable de tenir ne serait-ce qu’un seul enjeu tant sa démarche parodique étouffe les (rares) bonnes idées. Love and Thunder croule sous la charge de sa désinvolture, de son inconséquence, que le réalisateur et scénariste voudrait nous faire oublier lors de son troisième acte fumeux où l’orchestre de Michael Giacchino fait de son mieux pour nous arracher les larmes.
À vouloir décaper tout ce qui bouge, Taika Waititi en a oublié de mettre en scène son film. Pas une intention de réalisation ne vient bousculer ce spectacle de guignols en costume cliquant, durant sa première heure et demie. Impossible également d’y reconnaître le travail de Barry Baz Idoine, directeur de la photographie ayant officié sur The Mandalorian et pour Paul Thomas Anderson, contaminé par des effets spéciaux dégoulinants. Il faut se tourner vers le casting quatre étoiles pour trouver du réconfort dans cet océan de faux. Eux se régalent sous leur perruque et leur maquillage, à brandir des armes magiques en se retenant de pouffer, Christian Bale en tête de liste. Après avoir campé Batman dans des productions qui filtraient rigoureusement l’humour, l’acteur prête son corps rachitique et sa voix éraillée à un vilain qui voit la vie en noir et blanc. Grimacier, fantomatique et nanti de motivations approximativement compréhensibles, Gorr (à ne pas confondre avec celui des comics) fait un opposant intéressant quand le montage anarchique ne saborde pas ses affrontements avec Thor – au pluriel. Sa chasse des divinités soulève un point de vue congruent quant aux rôles de ces dernières, idoles insolentes que le script se tue à démystifier. C’est bien l’une des perspectives profitables à Love and Thunder qui, pour la majorité de son temps, s’oriente vers la comédie romantique de bas étage, arrange des centaines de fois les mêmes chutes sur une bande-son rock’n’roll et dresse un pont entre le monde de Captain America et les dégueulasseries plastiques de Robert Rodriguez. Et puis, dans ce chaos artistique, un mirage. Les couleurs s’effacent, la gravité se fait ressentir. Le film chavire vers l’horreur graphique, libéré de la rigolade. C’est tout un cinéma qui se réveille alors que l’on ne l’attendait plus, des vues fantastiques, oniriques, monochromes. Un sursaut d’autant plus frustrant qu’il est révélateur : quand Waititi arrête de blaguer, il amène l’univers Marvel vers ses rives les plus frissonnantes.