X, la fesse et le sang [Critique]

Ti West investit les décors de ses films d’horreur préférés avec X, jeu de massacre provocateur et lucide quant aux seventies et au sous-genre du slasher.
En 1979, au Texas, une équipe de tournage décide de réaliser un film sur la propriété d’un couple de personnes âgées. C’est le début d’une massacre dont ils vont être les victimes.
Avant que l’industrie (pop-)culturelle toute entière ne se mette à sacraliser les eighties à grands coups de Stranger Things et resucées de classiques (minables), l’inconnu Ti West réalisait un premier film sous forme d’hommage absolu. Pellicule grainée, dialogues bidons, exposition à rallonge et geysers d’hémoglobine faisaient la force nostalgique de The House of the Devil, qui annonçait sa vénération du genre et ses talents pour paraphraser ses maîtres. Près de quinze ans plus tard, ayant entre-temps élaboré un western et un found footage, le metteur en scène renfile son tablier de faiseur d’hommage pour une nouvelle reconstitution horrifique. Retour en lieu glauque et suggestif, une ferme isolée du Texas, où une équipe de tournage venue pour réaliser un film pornographique se fait déglinguer de manière crasse. La boucherie, comme l’heure lancinante qui la devance, sont cousines à celles du célébrissime Massacre à la tronçonneuse. La raison est simple : Ti West reproduit cette fois-ci, et à la virgule près, les motifs de Tobe Hooper et autres pères de l’horreur texane. X se veut tout aussi suintant, irritant et provocateur que les longs-métrages dont il s’inspire, et non moins lucide quant à l’époque dans laquelle se plante son scénario. Il y a ces cris de terreur nocturnes, ces seniors ostracisés, ces coïts exagérés, ces champs laissés à l’abandon, ce crocodile prêt à ouvrir la gueule, ces mises à mort improbables et cyniques : autant d’indicateurs bizarroïdes, gores et paraboliques des contradictions qui font les seventies, sur lesquels le cinéaste s’exprime le plus distinctement par le biais d’une iconographie millimétrée et de personnages plus éloquents qu’il n’y paraît. Toute cette bande d’acteurs et de techniciens amateurs s’empresse de se détacher des stéréotypes qu’ils semblent initialement abreuver. La blonde plantureuse ne meurt pas la première, la fille prude cède à ses désirs face à l’objectif d’une caméra, le passionné de Psychose divorce de ses références, ne faisant qu’ajouter de la confusion à une décennie déjà pétrie d’incompréhension(s). Le choix de suivre la mise en boite d’une production pornographique n’est d’ailleurs pas anodin. En plus de surligner la liaison historique entre sexualité et horreur cinématographique, où le corps s’observe, se cambre, transpire et se perce sous les injections du metteur en scène, X agite sous le nez de vieux rednecks les dépravations d’une génération citadine et libérée. Le même décalage générationnel et culturel qui fit s’élever l’engin de Leatherface dans les airs, pour un ballet crépusculaire inoubliable.
Ti West, qui rejoue les hommes-orchestres (attaché à la réalisation, au script, à la production et au montage), transcende ainsi son sujet, en cornant légèrement les poncifs pour qu’ils se révèlent plus parlant, en dupliquant ses films de chevet pour revenir aux fondements du slasher, en recourant à leur outrance pour étayer des discours parallèles et complémentaires. Il prend par exemple la débauche sexuelle à revers, définie comme la motivation des meurtres et la niche d’une frustration – due au dépérissement, à une vieillesse contre laquelle on ne peut rien – qui crève l’écran et les protagonistes. Les femmes sont les premières concernées, maîtresses ou victimes de leur chair, bien plus aptes à interpréter et recalibrer leur destin que la part masculine de la distribution, punie pour sa vision étriquée. Parmi elles, une Mia Goth qui poursuit sa traversée du genre avec une moue inimitable. Dans X, elle campe une actrice en devenir, la tête remplie d’adages préconçus qui lui servent à abattre mentalement – avant de se salir les mains pour une question de survie – ce qui barre sa route. La comédienne, révélée par Lars Von Trier et son Nymphomaniac, est symbole d’une détermination rare, comme une revanche au nom de toutes ces jeunes femmes sacrifiées pour le divertissement sous la lame de tueurs en série ou de créatures machiavéliques. Son double rôle est un autre de ces partis pris rafraîchissants et contemporains, synthétisés en un premier plan parfait : un travelling révèle que les bords resserrés de l’image n’étaient que l’encadrement d’une porte, un (faux) changement de format spécifiant l’œil moderne du cinéaste et son recul sur ce massacre sans tronçonneuse.