Game of Thrones : le bilan de la saison 8

Après six semaines de diffusion intenses, le grand bilan Game of Thrones s’impose.
Le générique de l’impitoyable et surprenante série Game of Thrones a retenti pour la dernière fois, ce qui n’a pas manqué de faire s’écouler des litres d’encre et des millions de tweets à travers le monde. Passé les débats houleux, les bonnes surprises et les déceptions collectives, faisons l’état des lieux d’une saison finale qui fera date dans l’histoire de la télévision.
Et ce, en cinq points.
Le problème du format

Après nous avoir secoué avec une sixième saison spectaculaire, David Benioff et D. B. Weiss ont levé le doute quant à la forme que prendrait le final tant attendu : il leur restait treize épisodes, répartis sur deux saisons, avant de plier bagage. Cette surprenante décision (au vu du tas d’intrigues qu’il restait alors à boucler) se fit brusquement ressentir dès la fournée suivante. Pire encore avec la dernière. Si les tribulations de Jon Snow, Daenerys Targaryen et compères conservent leur grandeur, elles perdent inéluctablement en consistance et pertinence. Les échecs de la huitième saison trouvent leur source ici, dans la précipitation de deux scénaristes faisant l’impasse sur le développement, approchant Game of Thrones comme une gigantesque machine à sensation et non plus un univers feuillu qui respire en temps réel. Un revirement dramaturgique d’une brutalité sans pareil, balayant d’un revers de main une décennie d’indices et d’échauffement thématique. Il n’est pas étonnant de voir le second épisode cité comme le favori du grand public : pour la dernière fois, la série prenait le temps de fouiller ses personnages, d’éclaircir leurs tourments, de les confronter à autre chose que le fer de l’épée.
Personnages sacrifiés

Dans le regroupement des sous-scénarios et la frénésie globale, dus au nouveau tempo, il apparaît clairement que les deux showrunners visaient une forme de divertissement précise : celle des blockbusters estivaux comme l’industrie en pond chaque année et qui affolent le box-office. Du grand spectacle, de grands rebondissements, mais des personnages condamnés à une maigre case et un manichéisme hasardeux qui prend le pas sur l’intrigue. Ainsi, les partisans du Nord occupent l’espace et voient leurs actions validées par la mise en scène, comme des super-héros venus sauver le monde, tandis que le reste de Westeros se résument à des bribes de dialogues et de méchanceté. La pauvre Cersei Lannister, portée aux nues au travers d’arcs politiques éblouissants, enfile le costume caricatural de la méchante reine, n’ayant guère le temps d’afficher autre chose qu’une mine sévère et de brèves larmes. Un constat désolant qui s’applique à tous ceux qui ne portent pas le nom de Stark, réduits à leurs traits les plus vils. Game of Thrones a, dans ses dernières heures, perdu ses nuances.
Technique magistrale

Si Game of Thrones s’est d’abord affirmé par le verbe, la série HBO s’est peu à peu essayé à l’imagerie de fantasy épique, laissant ses dragons cracher des flammes toujours plus grosses, et ses chevaliers traverser des batailles toujours plus percutantes. Dans le prolongement de son illustre Bataille des Bâtards, elle a ici repoussé ses limites techniques en proposant un spectacle dantesque et audacieux. The Long Night, son épisode central résolvant le problème des Marcheurs Blancs, catapulte le spectateur au cœur de l’enfer, rejouant la carte de l’immersion en atténuant sa luminosité au maximum et en se servant des zombies comme d’une métaphore apocalyptique. Les showrunners ont pris le soin de s’entourer de leur meilleur technicien, le britanno-américain Miguel Sapochnik, pour construire des images d’une grande précision, où la lumière et le cadre s’alignent parfaitement et sur lesquels les compositions mélodiques de Ramin Djawadi prennent toute leur noblesse. Le petit écran s’en souviendra un moment.
Événements inoubliables

La fin d’une odyssée aussi complexe et longue que celle de Game of Thrones appelle à la démesure. Même si handicapée par son manque profond de détails, de substance et de relief, l’ultime saison additionnent comme nulle autre les séquences d’anthologie : l’arrivée décisive de Daenerys sur le continent, la révélation des origines de Jon, la défaite du Roi de la Nuit ou la prise de King’s Landing sont autant de scènes impressionnantes, paroxystiques, souvent réunis en un seul et même chapitre d’une heure et demie. Un condensé de ce qui a aussi fait la renommée du show, baladant son spectateur au fil d’une intrigue intense. Et dans ce gloubi-boulga explosif, Game of Thrones parvient à faire naître un certain lyrisme, en empruntant à Shakespeare notamment ou en se référant au plus simple quand tout exige de l’allure. Qu’est-ce qui pourrait supplanter la tragédie entourant la mère des dragons si ce n’est la beauté des larmes de Brienne, adoubée par un Jaime Lannister au bout de sa rédemption ?
Une conclusion cohérente ?

En huit saisons, David Benioff et D. B. Weiss se sont spécialisés dans l’insatisfaction. L’insatisfaction de voir nos personnages préférés échouer, l’insatisfaction de voir les pires vauriens récompensés, l’insatisfaction émanant d’un monde moyenâgeux cruel qui aura pris la tête, en moins d’une saison, du seul personnage qui semblait juste. Il était donc à prévoir que nos deux bonshommes œuvreraient à tuer les fantasmes du grand public, peut-être par pur sadisme (l’on a que trop peu souffert à cause d’eux), surtout par cohérence en rapport à ce que présageaient les saisons précédentes. Les conclusions apportées font preuve d’un minimum de logique, d’un symbolisme extrapolé pour certaines, mais l’absence de subtilité et leur rapidité d’exécution les froissent. L’on déplorera également (et surtout) que les pistes les plus mythologiques aient été jetées par la fenêtre au nom de l’effet de surprise (quid du duel entre Jon Snow et le Roi de la Nuit ou encore de la position surnaturelle de Bran quasi-inexploitée ?). L’indication d’une fin douce-amère par l’auteur des romans, partagée avec les lecteurs depuis des années, est ici respectée par le choix des scénaristes de n’apporter que peu de réconfort à nos protagonistes, puisque cet univers ne s’y prête pas et ne s’y ai jamais prêté.