Game of Thrones, saison 8 : Le bilan

La fin de Game of Thrones est désormais connue, faisant suite à six semaines de diffusion qui firent se déchaîner passions et fureurs. Des litres d’encre plus tard, dédiés aux réussites et (surtout) désastres de la chaîne HBO, un grand bilan s’impose.
Décryptage d’un chapitre conséquent pour l’histoire de la télévision, et ce, en cinq points.
1. Le problème du format

Alors que la sixième saison s’achevait, nous apprenions que David Benioff et D. B. Weiss comptaient boucler leur histoire en treize épisodes, répartis sur deux saisons. Cette décision fit germer le doute : comment les deux scénaristes allaient pouvoir conclure en si peu de temps, et à quel prix ?
La septième saison diffusée, le choix des showrunners se fit brusquement ressentir. Le rythme venait d’accélérer de façon radicale. Les ellipses, jusqu’ici discrètes (voire absentes), se succédaient, et le récit se condensait drastiquement. Exit les périodes de transition, durant lesquels les protagonistes erraient, échangeaient autour de sujets variés (parfois totalement futiles), ce qui garantissait l’impression de réalisme, l’illusion que le monde de George R. R. Martin respirait. Si les personnages devaient parcourir mille lieux, ils seraient désormais capables de le faire en un seul et même épisode. Cette cassure nette avec la cadence des précédentes saisons se révéla perturbante. Les péripéties de Jon Snow, Daenerys Targaryen et compères conservaient leur pertinence, mais elles perdaient indubitablement en saveur. Et malgré l’avertissement, nombreux furent ceux qui espéraient que l’ultime saison ne soit pas aussi expéditive. Ça n’a pas manqué. Il fallait conclure l’intrigue des Marcheurs Blancs et la grande quête du trône (dont la série porte le nom, rappelons-le) en seulement six épisodes. Dès lors, il était inévitable que les showrunners synthétisent l’histoire. En cela réside le défaut majeur de la huitième saison.
Les événements présentés suivent une cohérence sans faille (ou presque) et l’on ne peut reprocher aux aboutissements de manquer en logique. Cela dit, les derniers épisodes font l’impasse sur le développement, et les aboutissants ont de quoi être remis en question. Si bien que la conclusion la plus crédible sonnera comme bancale, car mal amenée ou placée trop rapidement. La durée des épisodes (rallongés jusqu’à atteindre l’heure et demi) n’y change malheureusement pas grand-chose. Il n’est ainsi pas étonnant de voir le second chapitre, Un Chevalier des Sept Couronnes, être fréquemment cité comme le favori du public, étant une belle et douce transition avant la Bataille de Winterfell, un épisode qui explorait le ressenti des personnages et prenait le temps de jouer avec eux.
Il est aujourd’hui de notoriété publique que la chaîne HBO était motivée à l’idée de prolonger les saisons et offrir le budget nécessaires à David Benioff et D. B. Weiss. L’opportunité ne fut étrangement pas saisi par les deux hommes, pour des raisons somme toute mystérieuses.
2. Personnages sacrifiés

La bousculade engendrée par le format restreint condamne de nombreux pans et acteurs à une maigre case. Dès lors, si le Nord et ses partisans occupent l’espace vigoureusement, le reste de Westeros doit se contenter de séquences avares, voire complètement dispensables. De quoi nourrir un profond sentiment d’injustice.
Détaillée au fil de sept saisons, portée aux nues au travers d’arcs éblouissants, la pauvre Cersei Lannister enfile un costume caricatural pour son dernier acte. Son rôle, jusqu’ici déterminant – et toutefois placé comme le rempart final pour gagner le trône –, perd toute consistance, n’ayant guère le temps d’afficher autre chose qu’une mine sévère et de brèves larmes. Élaguer n’aura pas seulement supprimer des versants entiers du scénario : des personnages se sont vus directement sacrifiés sur l’autel du divertissement effréné.
La parole étant donnée aux faciès les plus justes, la nuance propre à Game of Thrones s’affaisse lourdement. Les gentilshommes couvrent le récit, les visages vils (ou simplement obscurs) en occupent une partie moindre. À l’instar d’un blockbuster estival bigrement standard, forme que visait très certainement David Benioff et D. B. Weiss. Voilà un méchant coup asséné au programme, d’ordinaire enrichi par l’absence de manichéisme.
Des protagonistes estropiés par leur manque d’apparition, une flopée de questions sans réponse, des failles qu’il eut été faciles de combler : le choix de six épisodes fut aussi dévastateur qu’un raid enflammé à King’s Landing.
3. Technique magistrale

Au-delà de son ambition scénaristique remarquable, Game of Thrones est également reconnu comme le show qui fait « du cinéma à la télévision ». On ne compte plus les tours de force techniques de la série, entre effets spéciaux appuyés et mise en scène spectaculaire. De ce fait, il était chose commune de prévoir action massive et réalisation adaptée, et davantage lorsque la production vantait la présence d’une bataille ridiculisant celle des Bâtards (que Peter Dinklage qualifiait avec humour de « parc d’attractions »).
David Nutter, Miguel Sapochnick et les showrunners historiques de la série se sont succédés à la réalisation des six épisodes, et le constat est sans appel : tous ont exécuté un travail faramineux. Plus que jamais, la frontière entre le grand et le petit écran se dissipe, tant les images sont saisissantes et majestueuses. Aidés par les décors splendides que proposent Game of Thrones, les metteurs en scène rendent justice au grandiose de la série, parvenant à capter le gigantesque, la violence et le lyrisme ambiant. Rien n’est laissé au hasard, pas même les séquences les plus anodines. La lumière et les cadres s’alignent parfaitement, pour le plus grand bonheur de nos yeux.
La bataille qui occupe The Long Night est une véritable merveille de technique. Porté par une photographie fabuleusement contrastée, le troisième épisode mise sur l’immersion. S’opère alors un enchaînement d’astuces pour plonger le spectateur au cœur de l’affrontement, parmi les soldats qui résistent aux morts ou sous les décombres de Winterfell. Rares sont les séries (et longs-métrages) à atteindre un tel niveau de maîtrise, à couper le souffle avec une telle férocité. Game of Thrones n’a eu de cesse de repousser les limites imposées par le carcan télévisuel, particulièrement dans le domaine des effets spéciaux. Si l’on peut déplorer quelques fonds verts visibles, il est indéniable que le show place ici la barre encore plus haute. The Long Night et The Bells ont beau multiplier les « money shots », le spectacle est constamment lisible, et plus que ça : prodigieux.
4. Événements inoubliables

Le rythme s’accélérant, le développement est relégué au second plan, laissant place aux scènes les plus conséquentes, entre combats épiques et révélations bouleversantes. C’est bien le seul aspect positif du (malheureux) raccourcissement : assister régulièrement à des événements décisifs. Et de ceux-là, la dernière saison n’en a pas manqué. Winterfell a posé les bases : l’arrivée de Daenerys dans la cité du Nord, le vol à dos de dragon, la révélation des origines de Jon, le retour de Jaime, etc. Autant de scènes impressionnantes et émouvantes, toutes réunies en un seul et même épisode. Le reste de la saison a fait de même : compiler les moments de bravoure (à une allure folle, certes), fermant définitivement la porte à l’ennui (tout en risquant l’indigestion).
La fin d’une histoire aussi complexe que celle de Game of Thrones appelle au paroxysme et à la démesure. Les arcs se doivent d’être élevés afin d’être dignes de tout ce qui a précédé, et sur ce point, le show remporte le défi haut la main. La série parvient à multiplier les séquences d’anthologie, maestria épique aux allures de fresque picturale, mais également à renouer avec une poésie qui lui manquait depuis plusieurs saisons. L’on retiendra sans problème les cascades de Maisie Williams ou les attaques aériennes de Daenerys, c’est certain. Néanmoins, ce ne sont peut-être pas les scènes qui resteront le plus gravées dans la mémoire collective. En effet, qu’est-ce qui pourrait supplanter la beauté de l’adoubement de Brienne ou le tragique qui entoure la Mère des dragons ? C’est dans la simplicité des actes et le lyrisme qui s’en dégage que la saison 8 finit par faire des étincelles.
5. Une conclusion cohérente ?

Plus que n’importe quel autre paramètre inscrit au cahier des charges de D. B. Weiss et David Benioff, apporter une fin à la hauteur était l’objectif primordial. En vue des attentes considérables, dues au succès phénoménal de leur travail, les showrunners étaient conscients de ne pouvoir satisfaire l’entièreté du public. Face aux fantasmes de millions de fans (du combat épique entre Jon Snow et le Roi de la Nuit à la mort de Cersei des mains d’Arya), ils ont fait un choix louable, et certainement le plus judicieux : miser sur la cohérence.
Frustration et déception sont des facteurs inévitables. Chacun y allait de sa petite théorie et plaçait lui-même les pions pour la fin rêvée (le principe d’une fan-fiction, en somme), bien que Game of Thrones n’ait jamais fait que des heureux (ce qui a, par ailleurs, fait sa renommé). Daenerys Targaryen sur le trône de fer ? Impossible. Jon Snow, alors ? Tout le monde s’y attendait, et pourtant.
Il ne s’agit pas simplement de jouer avec l’insatisfaction du public. Au final, il n’a jamais été question de cela. Lorsque Robb Stark est assassiné, lui que l’on pouvait qualifier de héros aux premières heures du show, personne ne s’est révolté. Quand Oberyn Martell, effleurant la vengeance qu’il espérait, meurt des mains de la Montagne, personne ne s’est révolté (certains ont eu besoin de prendre l’air, ceci dit). Pourquoi ? Il était question de logique dans un monde impitoyable. Les conclusions apportées par les showrunners manquent de subtilité, c’est un fait. Néanmoins, elles sont cohérentes, au point d’être étouffées par le symbolisme. La fin découle de l’ambition des personnages, de leur place dans le récit et de ce qu’ils ont exprimé durant leur parcours.
Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que Jon Snow reprenne son rôle à la Garde de Nuit, sur les terres qui l’ont rendu heureux et qui ont fait de lui l’homme qu’il est ? Est-ce surprenant de voir Arya Stark refuser d’être une lady, suivant les mots adressés à son paternel, pour aller explorer des terres inconnues ? Sansa, en Reine du Nord, n’est-ce pas la finalité la plus adaptée ? Tous les arcs narratifs se clôturent dans la pure lignée de ce qui a précédé, en faisant la somme du chemin parcouru, de la personnalité des protagonistes et de l’univers terrible de la série. Sans oublier l’indice d’une fin « douce-amère », que l’auteur des romans partage avec son audience depuis des années.
Conclusion

Se limiter à six épisodes était une erreur, car ce point est précisément vecteur de tout ce qui est reprochable à cette ultime saison. Rythme excessif, ellipses à répétition et développement secondaire sont des failles qui pouvaient être évitées et qui viennent amèrement plomber le grand bilan. Néanmoins, impossible de nier la générosité de ces dernières heures, les prouesses techniques d’équipes investies, le talent d’acteurs formidables et l’effort musical de Ramin Djawadi, compositeur historique. Dire que la huitième saison est un ratage complet serait faire preuve de mauvaise foi.
La conclusion (comme souvent) fera des déçus, des frustrés, mais aussi des comblés. Les protagonistes achèvent leurs intrigues et en amorcent de nouvelles dans une cohérence pure. Destin brisé ou justice rendue, la fin de Game of Thrones sonne, avec un peu de recul, comme une évidence.