Stranger Things (Saison 4), la même rengaine [Critique]

Forte de son budget conséquent et de son ambiance horrifique, la quatrième saison de Stranger Things perd du temps en divisant son intrigue. Rien ne change vraiment à Hawkins.
Six mois ont passé depuis la bataille de Starcourt et nos amis se trouvent séparés pour la première fois. Mais une nouvelle menace surnaturelle surgit et force le groupe à se ressouder pour en finir avec les horreurs du monde à l’envers.
Et si tout ce qui avait suivi la première (et merveilleuse) saison de Stranger Things n’était que prolongations superficielles ? La seconde laissait planer le doute. La suivante fut encore moins rassurante. Trois ans après sa diffusion sur Netflix, les enfants d’Hawkins reviennent se frotter aux monstres du monde à l’envers, et les choses ont radicalement changé. Ce qui était une bande d’amis indéboulonnable n’est plus, nos protagonistes dispatchés d’un bout à l’autre des États-Unis, Eleven a perdu ses capacités télékinétiques, le shérif Hopper crèche dans une prison soviétique et la dynamique comico-romantique s’est estompée. La série des frères Duffer ne pouvait que rebondir. Mais Stranger Things n’aime pas le changement. C’est pourquoi la deuxième saison se contentait des miettes de la précédente. C’est pourquoi la troisième tournait en rond dans son centre commercial maudit. Et c’est pourquoi la quatrième opère un désespérant demi-tour, à mi-parcours, et abrège diaboliquement, sous les yeux de son audience, ce qui aurait pu faire sa différence – et assurer un final renversant, sinon moins balisé. Le scénario dépoussière jusqu’au caisson expérimental d’Eleven (plus grande victime de cette régression narrative écœurante) et remet en scène les chamailleries de la première heure, les jalousies de collégiens et amourettes que l’on pensait éteintes. Il est des choses que le show récupère pour son propre bien, comme sa production blockbusteresque qui rend la reconstitution des années 1980 aussi crédible que ludique, sa réalisation fluide empruntée à Steven Spielberg, son maniement des références cinématographiques et leur filiation avec ce qui se raconte à l’écran. Pour cette nouvelle fournée d’épisodes, les showrunners refont leur numéro d’équilibriste. Ils naviguent entre Carrie au bal du diable, Indiana Jones, Les Griffes de la Nuit et Star Wars (de leur propre aveu) en ayant la décence de s’en détacher avant que l’hommage ne mute en plagiat. La saison délivre des séquences fantastiques lorsqu’elle fabrique sur de l’ancien, et ce n’est pas Kate Bush qui dira le contraire.
Mais ses qualités techniques peuvent-elles seulement réparer ses torts ? En éclatant son groupe de personnages, Stranger Things condamne les deux tiers de la clique au surplace, se donnant artificiellement le temps de creuser son univers – avec des chapitres ridiculement élongés pour atteindre l’heure et demie – et d’étoffer les relations de ces super-adolescents excités par le fait de sauver le monde. La plupart se perdent dans la foule ou dans une expédition minable en Russie, mais certains s’en sortent avec les honneurs. C’est le cas du nouveau venu Eddie Munson, qui se fraye un chemin parmi les visages charmants d’Hawkins avec sa dégaine de rockeur aux cheveux longs et ses faux airs d’Heath Ledger. Son attitude fanfaronne réchauffe une saison tournée vers l’épouvante, déployée sans concession dès que le méchant Vecna (et son horrible tronche décharnée) se pointe. Des os brisés, des mares de sang, des bestioles qui vous dévorent vivant : plus besoin d’ouvrir une brèche surnaturelle pour que l’angoisse s’incruste. Elle fait maintenant partie du quotidien. Néanmoins, si la série mastodonte de Netflix se montre persuasive dans la terreur, grâce à ses effets coûteux (le budget est stratosphérique) et en redonnant du crédit au monde à l’envers, Stranger Things passe par l’anodin pour implanter des scènes particulièrement vibrantes. Deux copains et la banquette arrière d’une voiture, et le show émeut en touchant à quelque chose de vrai, de noble et sincère. La route est d’ailleurs l’un de ces lieux communs qui réceptionnent le gros de l’intrigue, cette saison imaginée comme un mouvement général, une transition éléphantesque vers une bataille vendue comme la dernière. Quelques raccourcis – ou absurdités, au choix – plus tard, tous les synthétiseurs branchés, les Duffer se résolvent enfin à sauter le pas : les frangins concluent sur un plan apocalyptique et empli d’espoir. Les gamineries sont derrière nous, l’été et l’innocence aussi. C’était pas trop tôt.