Morbius, sang pour sang superflu [Critique]

Après deux Venom, Sony récidive avec une banale histoire de vampire dans laquelle Jared Leto surnage. Pouvait-on seulement espérer mieux ?
Rongé par une maladie sanguine rare, le docteur Michael Morbius est prêt à tout pour trouver un remède. Mais la solution pourrait bien avoir des effets secondaires sinistres.
Spider-Man a le vent en poupe, et ce ne sont pas les milliards de dollars amassés par le monstre No Way Home qui prouveront le contraire. Aussi, loyal au précepte hollywoodien à la mode – essorer ce qui peut rapporter des gros sous –, Sony s’est lancé le pari un peu tordu de monter un univers cinématographique autour des ennemis jurés de l’homme-araignée, sans l’homme-araignée. Venom et sa suite ont ouvert la danse, deux abominations qui ont fait perdre la tête à l’excellent Tom Hardy (et potentiellement à beaucoup d’admirateurs du symbiote), et les festivités continuent avec Morbius. Premier film depuis Blade : Trinity à oser l’hybridation vampire-super-héros, ce dernier met en scène la malheureuse genèse du personnage comme le font machinalement les productions Marvel. L’on y fait la connaissance d’un Jared Leto palot et boiteux, biochimiste de l’extrême atteint par une pathologie rare. À la recherche d’un remède miracle, le bougre cède au vampirisme sans songer une seule seconde au revers de l’expérience. Il se retrouve ainsi affublé de canines plus longues que la moyenne, d’une face de zombie terrorisante et de super-pouvoirs tout neufs, paré pour botter la croupe d’un monstre plus affreux que lui. Dès lors, le blockbuster de Daniel Espinosa rate le coche d’être ce qu’il promettait d’être – un véritable film de méchant – et emprunte les mêmes sentiers puants que Venom, à savoir ceux du divertissement dépourvu d’audace et servi sans une goutte d’hémoglobine. Paradoxal quand il est censé imager l’ascension d’un vilain maudit par le sang. Sony se planque à nouveau derrière l’excuse de l’anti-héroïsme, arguant la damnation du personnage pour le dédouaner de ses (trop rares) méfaits. Cela n’empêche pas quelques séquences appartenant à l’horreur d’éclore ici et là, mais celles-ci sont constamment jouées dans l’ombre (pour ne pas perturber le petit spectateur) et compressées par le montage. Et le film peut citer Dracula ou Murnau autant qu’il le veut, cela n’arrange en rien sa situation.
Sur le plan super-héroïque, Morbius ne pète pas la forme non plus. Dans ses meilleurs moments, Espinosa paraphrase le Spider-Man de Sam Raimi en remaniant la scène mythique du héros découvrant sa musculature dans le reflet d’un miroir et les premières envolées nocturnes. Dans ses pires, l’histoire adosse des personnages inconsistants (et inutiles) à une palanquée d’incohérences scénaristiques, puis précipite son intrigue jusqu’à ce que le spectacle n’ait plus le moindre sens. Ses misérables rebondissements, dont l’un est vulgairement repris de Usual Suspects, assènent le coup de grâce. Notons de brèves tentatives de mise en scène par le réalisateur de Life : Origine Inconnue, lequel ébauche deux plans-séquences en lieux restreints qui ne sont pas catastrophiques. Pour sa part, Jared Leto surnage dans cette mare faussement sombre. Recraché par Warner Bros après que le studio ait asphyxié son Joker, l’acteur oscarisé de Dallas Buyers Club se trémousse aujourd’hui pour la concurrence, même si son rôle paraît toujours étrangement connecté au chevalier de Gotham City – une scène en particulier emploie les chauves-souris à la manière de Batman Begins. Son texte et le sérieux de mise ne le mettent pas à son avantage, mais Leto s’en sort grâce à sa foi en ce qu’il marmonne. Ses comparses ne peuvent pas en dire autant – Matt Smith est ridicule, Jared Harris a trois répliques – et sont représentatifs de la flemmardise globale du projet, qui touche également aux scènes post-générique d’une absurdité impensable. À ce stade, Morbius fait dans l’insolence. Car Sony compte bien concrétiser son Avengers maison en accouplant ses blockbusters incolores. Face à cette proposition désincarnée qui rappelle l’époque des Daredevil, Elektra et Ghost Rider, Marvel Studios peut fermer les yeux et demeurer tranquille.