Alerte Rouge, pas bête du tout [Critique]

Pixar fait le plein de poils et de nouveaux horizons : avec Alerte Rouge, le studio métaphorise les affres de la puberté sans prendre de pincettes.
Meilin Lee, jeune adolescente pleine d’assurance, est tiraillée entre l’éducation sévère de sa mère et les turbulences dues à la puberté. Pour compliquer la situation, elle apprend qu’elle peut se changer en panda roux lorsqu’elle est excédée – chose courante à son âge.
Coup dur pour les équipes de Pixar. Leur dernier film, Alerte Rouge, n’a pas brisé la malédiction du streaming. Après avoir dû sacrifier Soul et Luca, le studio derrière Toy Story se voit encore privé des salles de cinéma par la maison mère et contraint d’expédier ses productions, aussi solaires soient-elles, sur la plateforme Disney+. Domee Shi, première femme à diriger seule un format long pour l’écurie, en fait les frais. En 2018, déjà sous la tutelle de Pixar, la réalisatrice canadienne confectionnait Bao, court-métrage savoureux (primé aux Oscars) qui retraçait la croissance d’un ravioli humanoïde au sein d’un foyer surprotecteur. Le parent y était représenté comme une entité bienveillante mais castratrice, dévorant l’enfant pour l’empêcher de fuir, ou plus grave à ses yeux : grandir. Les bases étaient posées pour Alerte Rouge. À travers cette histoire originale, dans laquelle la jeune Meilin se découvre la capacité de se transformer en panda roux géant, la cinéaste épingle à nouveau la figure du parent et partage un point de vue personnel sur cette période trouble qui sépare l’enfant de l’adolescent. Le refrain est connu du studio à la lampe, notamment entendu dans l’éblouissant Vice-Versa, mais il faut bien reconnaître que Domee Shi offre une lecture plus ample des affres de la puberté que celle de Pete Docter, et ce sans nous laisser infiltrer un quelconque subconscient. Pour cause, la réalisatrice s’impose un défi bien moins écrasant que celui d’esthétiser l’intangible. Elle resserre ses focales synthétiques sur son héroïne mi-humaine mi-boule de poils et passe en revue, de manière ludique, les embûches qui se dressent sur le chemin de toute femme en devenir. Son script ne fait aucun détour pour parler d’éveil sexuel ou de menstruations, et si la transformation en animal est une représentation exagérée de la métamorphose physiologique de Meilin, sa nature fantastique ne contrarie pas le fond. C’est avec panache (le rythme est sidérant) que le film d’animation dépiaute l’entrée dans l’adolescence, l’effroi de s’observer changer et, dans la continuité de Bao, fait du maternel une force antagonique.
Le Monde de Nemo se penchait sur le cas d’un père peureux de voir son fils s’éloigner du rivage. Le dernier Pixar renoue avec cette parentalité à tendance dictatoriale. Au combat de Meilin contre son corps s’adjoint une lutte farouche contre sa mère et l’héritage culturel (et surnaturel) de sa famille. Le dilemme entre le respect des traditions et l’émancipation du personnage (qui ne fait que se découvrir, de crise en crise) conduit aux scènes les plus enflammées du long-métrage et ce dernier renonce à un manichéisme facile qui déterminerait en deux plans qui a tort. Le scénario nuance ce qu’il pose en préambule, et spécifiquement l’éducation stricte, amenant petit à petit sa protagoniste à faire face à ses contradictions – elle désire l’autonomie mais ne veut pas perdre son image de petite fille sage. Chaque marque de progression fait se tordre la caméra, prise dans un torrent d’effets stroboscopiques, déformant les visages et les poses en s’assurant notre bon rire. Domee Shi fait carrément dans la bagarre de shōnen quand vient le final, point d’orgue d’un travail de mise en scène épatant qui rappelle la fluidité des films de Brad Bird (Les Indestructibles). Alerte Rouge a de l’énergie à revendre, tel le groupe d’amies de Meilin, fanatiques d’un boys band imaginaire qui vendraient leur âme pour un concert, dont les personnalités hétérogènes, euphoriques et impétueuses facilitent l’empathie à leur égard. De plus, la réalisatrice prend un malin plaisir à ranimer les années 2000 et ses reliques, de l’animal de compagnie virtuel à la garde-robe de ses personnages. Son projet est pour elle un joli moyen de retourner à sa propre enfance, de raviver sa jeunesse de fillette américaine, d’origine chinoise, qui visiblement a beaucoup à dire.