Licorice Pizza, cure de jeunesse [Critique]

Paul Thomas Anderson se lâche avec Licorice Pizza, un film personnel, solaire et pas aussi nostalgique qu’on aurait pu le croire.
En 1973, dans la région de Los Angeles, Gary Valentine croise la route d’Alana Kane et tombe amoureux malgré les dix ans qui les séparent. La jeune femme, séduite par son assurance, décide de le suivre dans ses entreprises.
Son dernier film, sacré comme l’un des plus beaux de la décennie passée, nous laissait contempler l’amour sadomasochiste d’un créateur de mode – campé par un Daniel Day-Lewis impérial, comme à l’habitude – et de sa muse. Trois ans plus tard, Paul Thomas Anderson largue la rudesse du Londres des années 1950 pour les quartiers ensoleillés de son enfance, ceux de la San Fernando Valley. Licorice Pizza (à traduire littéralement « pizza au réglisse », en référence aux vinyles) s’annonce d’emblée comme un retour aux sources. Pas seulement un retour aux baraques qui l’ont vu grandir, ni même aux seventies, période fantasmée qui a inspiré ses premiers passages derrière la caméra (Boogie Nights), mais bien un retour à la jeunesse, à la fièvre, au lâcher-prise, en parfaite contradiction avec l’exigence avérée du cinéaste, dont Phantom Thread était la quintessence. À nouveau, c’est une romance qui intéresse le réalisateur, celle d’un lycéen éperdument amoureux d’une photographe plus vieille que lui. L’histoire d’un coup de foudre dans une Californie où tout semble possible, avec ses vedettes au bord de l’implosion, ses business florissants, ses héros d’un jour, ses étés à rallonge. Pour autant, Anderson ne dresse pas son Once Upon a Time… in Hollywood ici. Son long-métrage est moins mélancolique, n’a pas l’ampleur ni la dégaine encyclopédique du film de Quentin Tarantino. Licorice Pizza se penche bien sur l’Amérique d’un autre temps en traversant ses grandes préoccupations (l’entreprise, la politique, etc.), mais place ses personnages avant la reconstitution, les situations avant les citations. Focalisé sur ses protagonistes juvéniles, plus attaché à la succession de sketchs (généralement à peine croyables) qu’à la représentation historique, Paul Thomas Anderson délivre tout simplement son intrigue la plus accessible.
Licorice Pizza, donc, n’est pas conçu à la gloire d’une décennie précise – dont les crises et les problématiques, économiques ou sociales, ne sont omises à l’écran – mais à celle d’un couple de jeunes gens plein de ressources. Gary est un entrepreneur-né, un comédien confirmé et conscient de ses charmes. Alana est une femme déterminée, à la répartie délicieuse, douée pour improviser. Le film vit au rythme de leur passion, de leur débrouillardise, de leur jalousie respective, de leurs embardées professionnelles, et le duo d’acteurs s’impose comme la principale qualité d’une œuvre à la structure délibérément débraillée. Anderson embauche le fils de feu Philip Seymour Hoffman, lequel marche dans les pas de son paternel avec un aplomb séduisant, parvenant à faire oublier les furtifs Sean Penn, Bradley Cooper et Benny Safdie. Cooper Hoffman et Alana Haim, l’autre sublime révélation du film, portent sur leur dos cette comédie romantique. Leur alchimie infuse la pellicule dès lors qu’ils entrent dans le champ. Comme pour Punch-Drunk Love, le cinéaste fait dans la relation bizarre, fondée de prime abord sur l’écart d’âge qui sépare nos deux têtes d’affiche sans que cette dernière ne tombe dans l’immoralité – le sujet est mis sur la table plusieurs fois. De surcroît, Licorice Pizza se dispense d’adultes – absents ou fous furieux – et confie les rennes aux mômes, libres de tout dans un pays qui cherche à se reconstruire. Sa légèreté le contraint à étouffer certaines thématiques, sa cadence arbitraire lui fait défaut, certes. Paul Thomas Anderson a fait plus radical (The Master), plus imposant (There Will Be Blood). Cependant, le metteur en scène ne s’est jamais aventuré sur un terrain aussi personnel que celui-ci, prenant plaisir à explorer les paysages de son enfance et à y développer une romance solaire, que l’on soupçonne, si elle n’est un pur fantasme, autobiographique. Le geste est touchant.