Le Dernier Duel, joutes modernes [Critique]

Après quatre ans d’absence, Ridley Scott fait son retour dans les salles de cinéma avec Le Dernier Duel. Le metteur en scène signe, quelques semaines avant House of Gucci, un drame historique frappant de modernité.
En 1386, le chevalier Jean de Carrouges retrouve son épouse après un voyage à Paris. Celle-ci accuse l’écuyer Jacques Le Gris de l’avoir violée. Afin de déterminer qui dit vrai, le roi Charles VI décide qu’il y aura un procès par le combat : un duel à mort entre les deux hommes.
Le film en costumes, Ridley Scott en connaît quelque chose. Derrière Kingdom of Heaven, 1492 : Christophe Colomb et le contesté Robin des Bois, le réalisateur a toujours, malgré ses années d’égarement, porté un soin admirable à la reconstitution. À quatre-vingt-trois ans, prolifique comme à la première heure, Scott met en scène l’histoire (vraie) du dernier duel judiciaire, pratique médiévale visant à résoudre litiges et débats conflictuels. Le sobrement nommé Le Dernier Duel nous ramène à la France du XIVe siècle, à ses chevaliers balafrés, à ses étendues de tourbe où tout se règle par l’épée, sous couvert de foi. Une accusation de viol, des réputations qui volent en éclats et le metteur en scène profite de ce fait historique pour régurgiter quarante années de cinéma. Scott repasse par Les Duellistes, son film inaugural, récit de deux officiers français prisonniers de leur honneur (et de leur hypocrisie), par Gladiator, sa violence sèche, omniprésente dans l’arène ou sur les champs de bataille, mais aussi Prometheus lorsqu’il bavasse du jugement divin. Comme si ce long-métrage était la somme de ses aînés, le total de savoir-faire emmagasinés au fil de productions éclectiques – Scott est un touche-à-tout – et de thématiques aussi multiples.
Via Blade Runner, le metteur en scène visitait le futur pour remettre en perspective ce qui précédait. Cette fois, il rebrousse chemin et trouve dans le passé de quoi cruellement étriller notre époque. Cette affaire d’agression, de domination, de pouvoir et de vérité restitue dans le détail les déflagrations connues par le Hollywood d’Harvey Weinstein et la propagation des mouvements sociétaux qui suivirent, l’avènement des tribunaux populaires et la dénonciation d’un mal enraciné dans l’industrie (et pas seulement). Tel qu’il avait si bien su le dépeindre avec Alien et Thelma et Louise, œuvres symboliquement féministes, Ridley Scott relate l’histoire d’une femme victime de son environnement, chassée et mise en cause pour sa condition, pour son sexe. Il fait état d’un combat pour la vérité, découpé selon les lois du Rashōmon d’Akira Kurosawa, tendant la perche au mari, à l’accusé puis à la victime, ce qui, en plus d’être un exercice narratif ici dextrement géré, en dit long sur le système et sa façon de récolter la parole. Dans la superposition de ses trois actes, le scénario gagne en puissance, assez futé pour éluder le jeu des sept différences sans se montrer redondant, faisant primer de menus indices et les yeux de ses comédiens époustouflants. D’une perception à la suivante, les personnages se déshabillent, le regard du spectateur s’endurcit, et Lady Marguerite tranche.
L’opposition suggérée par le titre, et qui vaut la réputation de ce fait, dissimule le sujet qui motive le réalisateur américain. Avant d’être le concours de deux virilistes persuadés d’être les victimes de ce conflit, Le Dernier Duel retrace le combat d’une femme refusant de taire les horreurs qu’elle a subit, une pierre lancée au visage de la société patriarcale qu’il taillade à chaque dialogue. Et si Ridley Scott met du cœur à l’ouvrage lorsque les chevaliers brandissent leurs armes au cours d’un affrontement digne des meilleurs barbaries de Game of Thrones, il n’est jamais aussi persuasif que lorsqu’il cadre les paupières humides de son actrice principale, Jodie Comer, laquelle prédomine sur les jeux pourtant impressionnants de Matt Damon et Adam Driver. Victoire pour elle(s).