Dune, un peu plus près des étoiles [Critique]

Denis Villeneuve fait décoller la saga Dune avec un premier chapitre dense, prémices d’une odyssée épique, politique et spirituelle. Un grand film de science-fiction.
En l’an 10191, le duc Leto Atréides reçoit de l’empereur Shaddam IV le fief de la très dangereuse planète Arrakis. Bien que Leto sache que cette occasion est un piège tendu par ses ennemis, il emmène avec lui sa concubine Dame Jessica, son jeune fils Paul et ses soldats les plus fiables sur Arrakis.
Pharaonique. Voilà un mot approprié à l’ampleur du projet Dune. Depuis des lustres, le livre culte de Frank Herbert partage avec le septième art une relation houleuse, passé entre les mains d’Alejandro Jodorowsky, Ridley Scott, David Lynch – le seul qui est allé jusqu’à la salle de cinéma – et Peter Berg. Tous ont voulu adapter les fables d’Arrakis, tous se sont résignés ou, pour les plus téméraires, ont échoué. Il aura fallu que le cinéaste canadien Denis Villeneuve s’y colle pour conjurer cette vieille malédiction, dont l’appétence pour les grosses productions américaines le prédestinait quelque peu à dériver vers les lignes d’Herbert. Pour en reporter toute la teneur, le réalisateur coupe l’intrigue en deux. Un choix avant tout motivé par la densité de l’univers Dune, constellation politique, exigeante et aride, et qui présage de l’ambition entourant le long-métrage, voulu point de départ d’une franchise appelée à concurrencer Star Wars et ses milliards de dollars. Dune : Première Partie, de son nom complet, plante donc les graines de son monde et consacre la quasi-totalité de ses deux heures et demie à la pleine exposition de ses enjeux. Villeneuve passe en revue technologies, troubles politiques et économiques, héritage et prophétie, façonnant les fondements d’une odyssée épique comme La Communauté de l’anneau l’avait fait en son temps. Habité d’une passion qui transcende sa réalisation, le metteur en scène se soustrait à la tirade encyclopédique et bête, sans pour autant recourir à la vulgarisation de sa mythologie touffue. Il échafaude par bribes, donne le temps aux informations de maturer. C’est là qu’opère la magie du cinéaste canadien : son blockbuster respire tranquillement, contextualise à son propre tempo. Dune est un film vivant.
Le sentiment est décuplé par la direction artistique minimaliste, patinée et majestueuse, qui signale tout le vécu de ces galaxies lointaines. Pour ce récit d’importance et de destinée, le réalisateur cultive une dichotomie des échelles, bascule entre un cadrage serré et une prise de recul exagérée. D’un extrême à un autre, d’une pupille dilatée par une épice magique à l’énormité hyperbolique de l’architecture, le réalisateur met en image le poids du monde sur les épaules de ses protagonistes et reconsidère la place de l’homme face au néant. Le rapport à l’envergure (comme les questionnements qui l’escortent) n’est jamais aussi écrasant que lorsque la caméra se plante dans les dunes d’Arrakis, océan de sable parcouru de vers géants, et que la silhouette de Paul Atréides (jeune héros de cette histoire) se détache à peine de l’immensité ocre. Villeneuve laisse de côté le mysticisme pour cette première partie, mais il esquisse déjà le cheminement spirituel de Paul à coups de visions cryptiques et inserts lourds de sens sur la matière (reflets de l’épice, traces dans le sable, coulures de sang, etc.). La mise en scène se préoccupe ainsi du palpable, de la texture, répondant à la fois à une nécessité de concrétude des éléments et à leurs pouvoirs sur les personnages. Sous l’affublement princier, Timothée Chalamet remplit son rôle de gamin fébrile et pourtant sûr de lui, dont les nouvelles responsabilités forment l’un des grands sujets du blockbuster. Rebecca Ferguson, sa mère à l’écran, n’est pas en reste. L’actrice de Mission : Impossible porte en elle une sensibilité stupéfiante, tenant tête aux mâles charismatiques qui complètent la distribution. Et si l’émotion manque quelques fois à l’appel, peut-être par manque de temps et de liant entre ces visages connus du grand public, celle-ci devrait pointer le bout de son nez dans une deuxième partie plus spectaculaire encore, ourlée par les bases tonitruantes du compositeur Hans Zimmer.