The Tragedy of Macbeth, du Shakespeare brut [Critique]

Joel Coen, séparé de son frère, conçoit une adaptation fidèle de la tragédie de Shakespeare et ose une imagerie expressionniste ravissante.
Au retour d’une bataille, un seigneur écossais est convaincu par trois sorcières qu’il sera le prochain à porter la couronne. Son épouse le soutient activement dans ses plans pour prendre le pouvoir.
Il est des œuvres littéraires pour lesquels le septième art voue un amour indéfectible. En 1948 déjà, Orson Welles adaptait Macbeth, prêtant lui-même ses traits au roi d’Écosse maudit. Plus tard, la tragédie shakespearienne passa entre les mains d’Akira Kurosawa pour Le Château de l’araignée, fit un détour par la télévision et d’autres continents – l’Inde et l’Australie ont également pondu leur version – jusqu’au récent film éponyme de Justin Kurzel. À chaque décennie ses relectures, et c’est au tour de Joel Coen de s’attaquer au texte centenaire de Shakespeare, cette fois en solitaire. C’est sans son frère que le réalisateur reprend l’histoire bien connue du général à qui l’on murmure un destin royal, et dont la conscience flanche peu à peu jusqu’à l’hystérie. Cette ascension subite et macabre, précédant une chute qui ne l’est pas moins, Joel Coen la recrache le plus fidèlement du monde. Pour preuve, il fait réciter à ses comédiens les lignes originelles à la virgule près, se prêtant à un exercice théâtrale fondé sur de longs couloirs de dialogues, exhibant oralement la folie qui contamine le couple Macbeth. Ce n’est donc pas dans le verbe, aussi agréable soit-il, que The Tragedy of Macbeth tire son épingle du jeu, mais dans ce qui l’escorte et ceux qui le chantent. Le long-métrage fait le pari d’affubler Denzel Washington et Frances McDormand des rôles principaux, et le choix d’acteurs vieillissants marque une première singularité. Plus murs, plus proches de la fin, le couple est saisit par l’urgence : la peur de la mort se fait ressentir, tout comme l’angoisse de passer à côté d’une gloire qu’ils ont fantasmé. Outre la folie qui frappe à la porte, c’est le temps qui se pose en ennemi. Ce paramètre insuffle une sensibilité nouvelle au poème, une émotion discrète et lisible dans le regard ridé des deux acteurs multi-oscarisés. McDormand et Washington y sont à la fois magnifiques et effrayants.
Le cinéma des frères Coen partage bien des choses avec les écrits shakespeariens. Depuis leurs débuts, leurs longs-métrages s’arrangent autour d’événements brutaux, de bêtises humaines, d’hémoglobine et d’invraisemblances. Ce nouveau film, s’il n’appartient qu’à un seul des frangins, s’inscrit dans la continuité de leur filmographie. Un récit de criminels, de fous, drapé de nihilisme, à la forme plus qu’élaborée. Bruno Delbonnel (directeur de la photographie français et collaborateur de longue date) a la lourde tâche d’appuyer la psychologie des protagonistes, les tenants fantastiques et l’intemporalité de la pièce par l’image. Il opte pour le brutalisme et l’expressionnisme, revisitant les photogrammes de Murnau par les ombres, les géométries et les angles dérangeants. Le château perché, dans lequel l’intrigue s’étire majoritairement, a vite fait de se transformer en dédale sinistre. The Tragedy of Macbeth, de par son épure et ses symétries, rappelle aussi la vision de Kurosawa, sans chercher à imiter le maître japonais. En noir et blanc, au format carré, le film jouit d’une mise en scène tirée au cordeau. Son exactitude est peut-être ce qui le condamne également. Pas d’humour cette fois-ci, à peine un soupçon de cynisme, mais une austérité de tous les instants qui peut laisser le spectateur à distance. Un zeste de bizarrerie supplémentaire n’aurait pas été de refus, un pas de côté loufoque, donnant un peu plus de cœur à une adaptation qui ne manque pas de corps.