Pieces of a Woman, des vies déchirées [Critique]

Le premier film américain de Kornél Mundruczó se penche, avec délicatesse, sur la difficulté du deuil et la décomposition du couple. Les Oscars devraient adorer.
Martha et Sean Carson sont sur le point de devenir parents, mais suite à un accouchement difficile, ce qui s’apprêtait à être leur plus grand bonheur devient le drame d’une vie. Martha doit alors apprendre à faire son deuil et composer avec une mère intrusive et un mari de plus en plus distant.
Accoutumé du tapis rouge cannois, duquel il repart parfois une récompense sous le bras, Kornél Mundruczó souffle sur les braises du duel idéologique et artistique qui tiraille le festival français et la plus célèbre des plateformes de streaming, muté en monstre insatiable au cours de la pandémie. L’événement cinématographique de ce début d’année – le premier, en tout cas – prend donc place sur Netflix, après un passage couronné à la Mostra de Venise, où la tête d’affiche fut graciée du prix de la meilleure interprétation féminine. Décision du jury incontestablement justifiée, car la jeune actrice britannique ne porte pas seulement le huitième long-métrage de son réalisateur : elle lui donne poumons, muscles et cœur.
Tout part d’un plan-séquence éblouissant. Accouchement à domicile oblige, la caméra déambule dans les pièces selon les contractions, les préconisations médicales, témoignant d’une certaine pudicité – un regard tendre prévaut sur les débats du corps. Cette scène anthologique, qui justifierait presque à elle seule l’adaptation cinématographique (Pieces of a Woman est à l’origine une pièce de théâtre), étirée sur une vingtaine de minutes, est une porte d’entrée retentissante au drame qui suit et au monde qui s’apprête à se disloquer. Les protagonistes s’y présentent succinctement, la réalisation est aérée (comme flottante) et l’amour fuse, rattrapé par la catastrophe. L’immersion suscitée fait se dilater le temps, que l’on croirait suspendu lors d’un sourire, contracté quand l’événement prend une tournure cauchemardesque. Ce rapport à la temporalité, le cinéaste y revient assidûment, à l’aide de prises longues, évidemment, mais aussi par le choix d’un chapitrage daté, faisant état des mois et saisons qui passent.
Sans tomber dans le piège de la métaphore creuse, jeu pseudo-intellectuel greffé au cinéma indépendant américain, Pieces of a Woman s’attribue quelques symboles, à base de reconstruction et germination. L’explosion sentimentale et psychologique qu’est la perte du nourrisson entraîne un mouvement continu, les errements du couple, bousculé et précipité dans les bras de leurs démons respectifs. Vanessa Kirby, apparue dans Mission : Impossible – Fallout, mise à nue dès l’introduction, est habitée de passion et justesse dans un film qui pose la question de la vie face à la mort, d’émancipation face aux obligations morales, judiciaires ou familiales. Mundruczó fouille les égarements, le silence, l’absence : artifices ou résolutions pour vaincre l’ébullition et l’injustice, s’il en est. Le metteur en scène ne donne la clé de cette épreuve, mais offre d’émouvantes et honnêtes perspectives. « Le temps guérit tout », cite Ben Safdie.