Matrix Resurrections, une pilule savoureuse [Critique]

En implantant la notion de reboot dans sa diégèse, Matrix Resurrections tacle la concurrence et replace les personnages au cœur de la machine.
Dix-huit ans après les événements de Matrix Revolutions, Thomas A. Anderson n’a plus de souvenir de son combat et mène une vie à l’apparence ordinaire. La réapparition de visages familiers, dont un certain Morpheus, le pousse à partir à la recherche du lapin blanc.
Par ces temps de suites, remakes, reboots et réadaptations, la résurrection de la franchise Matrix était somme toute inévitable. Objet culte et visionnaire, indissociable de son contexte de production – la fin d’un siècle, le début d’un autre –, mélange d’esthétiques cyberpunk, kung-fu et allégories anti-capitalistes, l’œuvre des Wachowski était appelée à reprendre d’assaut les salles obscures, le système hollywoodien régurgitant passionnément ses classiques. Entre-temps passée par le court-métrage animé et le jeu vidéo sans revoir à la baisse ses ambitions narratives, la saga recouvre son format d’origine, ses acteurs fétiches et l’une de ses créatrices pour un quatrième opus plus fendard qu’on aurait pu l’envisager. Matrix Resurrections commence par rejouer l’introduction de son illustre aîné, ramenant le spectateur aux baraques sombres, fusillades acrobatiques et tenues de cuir du premier film. Mais quelque chose cloche. L’angle n’est plus le même, l’éclairage a changé, les visages ne rappellent rien. Puis le rideau virtuel tombe : ces premières minutes sous forme de remake ne sont qu’un préambule au discours arboré par le film, pointant le blockbuster, l’industrie (au sens large) et la « culture du reboot » dont il est la pure conséquence. En reproduisant bêtement et consciemment, Lana Wachowski (séparée de sa sœur, une première) vise la fainéantise des grands spectacles d’aujourd’hui, ceux qui imitent et brossent l’audience dans le sens du poil sans même songer à faire du neuf. Sa raison d’être, le scénario la balance frontalement au cours d’une scène hilarante où des simili-producteurs s’écharpent à propos de ce qu’incarne Matrix et des bonnes raisons de rebrancher la machine. Resurrections intègre la notion de reboot au sein de sa diégèse, prend à revers l’idée de fan-service, bafoue des gimmicks attendus. La mise en abyme, décapante, ne se restreint pas au tacle : elle met en perspective le devenir d’une œuvre, au-delà de sa diffusion, et son appropriation par tout un chacun. La réalisatrice, assistée par l’équipe de Cloud Atlas, se sert des détracteurs, fanatiques, producteurs – tous à deux doigts de briser le quatrième mur – pour faire le bilan de ce que la saga a légué à la pop-culture.
Les bastons épiques se font plus discrètes, les capes sont mises au placard. Le verbe philosophique, lui aussi, se rabâche avec moins d’insistance. Matrix Resurrections est cependant bien la suite de la trilogie, avec laquelle il converse par le biais d’images insérées au montage, et ce nouveau chapitre est une chance de plus pour la cinéaste de témoigner son amour pour ses protagonistes. Dans le prolongement de son travail sur Sense8, elle construit le long-métrage autour de la connexion entre les individus, du spectateur à l’acteur, de la fiction à la réalité (et vice-versa), de Neo à Trinity. Les deux héros sont filmés avec une sensibilité rafraîchissante, faisant état du temps qui a passé. Les comédiens se montrent plus vulnérables que jamais, détachés de leur posture robotique, trop peu iconisés pour que le mythe prenne le pas sur l’humain. Alors que les films précédents s’érigeaient autour de l’élu et sa mission christique, c’est désormais le personnage de Trinity qui occupent toutes les pensées et synthétise les enjeux. Le quatrième Matrix est celui du romantisme. Celui du combat d’un cœur pour un autre. Celui d’une méta-revanche où Carrie-Anne Moss, en trois mots, démontre l’étendu de son talent et rattrape la carrière qu’elle n’a jamais eu. Jusqu’à sa scène post-générique, ultime doigt d’honneur à la concurrence, l’opus rachète ses défauts – un humour mal dosé, un rythme aléatoire – grâce aux beaux yeux de ses personnages, légendes vivantes ou derniers arrivants, et une mise en scène flamboyante qui suffit à ridiculiser le cirque aux super-héros. Face à ses contemporains, ce blockbuster tient véritablement du bug informatique.