Cruella, enfer et dalmatiens [Critique]

Disney exploite à nouveau le filon des méchants et propose Cruella, film de costumes dans lequel Emma Stone campe la vilaine créatrice des 101 Dalmatiens. Peut mieux faire.
Dans le Londres des années 1970, Estella est décidée à se faire un nom dans la mode. Escroc de talent, elle mène une vie criminelle jusqu’au jour où ses créations se font remarquer par la baronne von Hellman, grande créatrice.
Pour s’accaparer les sommets du box office international, l’empire Disney ne table pas uniquement sur les redites live-action : sa politique nostalgique exploite aussi l’attrait du grand public pour ses méchants les plus représentatifs. Après avoir conté le passé trouble (et larmoyant) de Maléfique dans le film éponyme – production sage et plus portée sur les dents blanches d’Angelina Jolie que sur l’aura luciférienne de son sujet –, le studio exhibe les débuts de la créatrice de mode Cruella d’Enfer, celle-là même qui harcèle la horde des 101 Dalmatiens. Craig Gillespie nous ramène à un temps où la diablesse se présentait sous le doux nom d’Estella et aspirait à s’imposer dans son domaine de prédilection, plein de tissus, coupes et égos à froisser. Le réalisateur du biopic Moi, Tonya y fait tournoyer sa caméra, happé par le rocambolesque du milieu, fidèle aux défilés et leur tournure punk. Cruella prend la forme d’un music-hall long de deux heures – on ne les sent guère – durant lesquelles le réalisateur australien slalome entre créateurs et créations, joutes artistiques et vengeance personnelle. Un film de costumes, assurément, auto-alimenté par les bizarreries de ses personnages, la fièvre de l’époque, ses crises sociales et économiques, et le duel stylistique qui soutient son scénario. Il n’en est que plus crispant de constater que ce spectacle festif masque un script perclus de bourdes, non-sens et prévisibilités : défaillances d’un produit manufacturé Disney somme toute banal.
Emma Stone succède à l’effarante Glenn Close, qui enfilait le costume de la vilaine dans l’adaptation de 1996. L’actrice oscarisée de La La Land s’investit sous ses perruques loufoques, sa moue tordue pour mimer la folie qui habite son rôle quasi-schizophrène, plus proche que jamais de la clownesque Harley Quinn. Le rapport aux films DC, de surcroît, n’a rien d’infondé. Le déguisement progressif de Cruella – et les étapes de sa métamorphose – partagent bien des similitudes avec le Joker de Todd Phillips (jusqu’au twist abracadabrantesque faisant fléchir son histoire), même si irréfutablement plus accessible et bon enfant. Mais l’angle ubuesque ne peut excuser les digressions du récit, sa narration abrutissante (due à l’omniprésence de la voix-off), l’improbabilité de son exposition, ses choix musicaux pompeux et sa grappe de personnages secondaires d’une futilité totale. Cruella invite Emma Thompson à se joindre à la fête, dans les pantoufles de l’insensible dominatrice von Hellman que cherche à abattre notre créatrice en ascension, victime – c’était à prévoir – d’un sale coup qui explique son sadisme naissant. De facto, Disney échappe (encore) au défi de coudre un authentique film de méchant(s), choisit de lui fournir les circonstances atténuantes nécessaires à l’appréciation du spectateur crédule, qui pardonnera sans sourciller à cette pauvre martyr ses méfaits du dessin animé. La stratégie est payante : le portrait flatteur de Cruella d’Enfer fait ressortir son caractère rebelle et hypnotique. Quant aux dalmatiens, mieux vaut ne pas se risquer à domestiquer ces reproductions numériques, maudites choses à grande gueule qui d’un rien pourraient devenir le cauchemar des plus jeunes.