Greenland – Le dernier refuge, catastrophe évitée [Critique]

Reportés de plusieurs mois, propulsés sur les services de streaming : les blockbusters font pâle figure, victimes collatérales d’un contexte sanitaire peu enviable pour les grosses machines hollywoodiennes. Celles-ci ont déserté les salles de cinéma, peureuses (à raison) de ne convaincre les foules. Voir débarquer un film catastrophe, calibré avec évidence pour la période estivale, ravive de chaleureux souvenirs.
Annoncée comme un spectacle fabuleux, une pluie de comètes menace la Terre, annonce d’un cataclysme sans précédent. Face au choc imminent, la famille Garrity tente de se frayer un chemin en direction du seul refuge en mesure de résister à l’apocalypse.
De prime abord, Greenland – Le dernier refuge coche toutes les cases du « Gerard Butler movie » – genre à part entière, né de l’amour inconditionnel de l’acteur pour l’action frénétique (et un poil décérébrée, avouons-le). Un a priori quasi-confirmé par la présence de l’ex-cascadeur Ric Roman Waugh derrière la caméra, à qui Butler doit sa dernière escapade musclée. Alors, une fois installé dans son cher fauteuil rouge, la main dans un sachet de pop-corn et les yeux rivés sur la toile, prêt à ingurgiter la ribambelle de détonations habituelles, quelle surprise de constater que le blockbuster s’éloigne rigoureusement des suppositions. Greenland frappe, mais plus subtilement que prévu.
Et si l’humanité prenait conscience de son extinction ? Ric Roman Waugh pose ouvertement la question et s’appuie sur celle-ci pour établir ses péripéties. L’idée n’est donc pas de résoudre l’intrigue via un coup de poing bien placé, mais d’étudier la convulsion de l’espèce humaine en (sérieux) temps de crise, d’exposer ses facettes par le prisme d’un désordre généralisé. Le préambule – d’une efficacité troublante – suffit à assimiler la démarche : l’expédition sera faite de sacrifice, d’incompréhension et de peurs primaires. En faisant de l’individu son véritable sujet d’étude, Waugh placarde non sans radicalité les faciès d’une Amérique en panique, capable de dissimuler ses crocs acérés derrière un sourire bienveillant. « L’homme est un loup pour l’homme » dit l’adage, et le réalisateur en respecte la moindre lettre, s’évertuant à maintenir un climat de terreur pour que son spectateur, à l’image d’une famille ordinaire, ne relâche aucunement son attention. La pluie de comète en deviendrait presque sympathique.
Mais il serait grotesque de résumer Greenland à sa représentation noire de l’être humain, et davantage d’associer le long-métrage à une forme naïve de manichéisme – il est (plus ou moins) facile de dénicher des circonstances atténuantes à tout ce beau monde. Waugh s’amuse justement à nuancer son discours et transforme, à plus d’une reprise, l’ange en démon (ou inversement) pour mieux berner. L’astuce amène son lot de rebondissements (parfois terrifiants) et complète l’argumentaire du cinéaste, décidé à faire des fêlures un élément prépondérant. L’intention se profile dès le postulat, à base de cellule familiale dysfonctionnelle, perturbée par des problèmes banals (l’adultère est évoqué, notamment) dont les restes éclatent lors d’instants d’accalmie. L’ensemble de ces variations, entre empathie et détresse, permet de brasser suffisamment de matière pour que l’essai, s’il demeure perfectible, engendre une première partie – qui s’étale tout de même sur une heure consécutive – intense et, n’ayons pas peur de le dire, foncièrement appréciable. La conclusion et son ellipse (expéditive) ternissent fâcheusement ce tableau haletant.

Dans un semblant de logique, Ric Roman Waugh positionne sa caméra à hauteur d’homme et ne s’offre que très rarement l’opportunité d’exposer les décombres ou l’enfer qui s’abat sur Terre. Budget restreint oblige, le metteur en scène opte pour une technique sobre et immersive, raccordée à son dessein scénaristique. Plans de foule limités, money shots contournés : la caméra se braque sur les visages, saisit l‘émotion, se noie – à l’instar protagonistes – dans ce qui l’entoure. Argument à réviser, cependant, car la mise en scène épurée entraîne une certaine apathie visuelle, que l’on soupçonne lors de scènes qui méritent un effort supplémentaire. Si la sobriété de la composition et ce choix d’une caméra humaine épousent parfaitement le sujet, ils se heurtent également à leurs propres limites. Les maigres scènes d’action – Butler devait forcément fracturer quelques os – souffrent d’un découpage maladroit qui, couplé au sentiment de confusion sillonnant le long-métrage, n’apporte que minutes illisibles et saccades regrettables. Rien, cela dit, n’atteint la tragédie numérique (fonds verts écœurants et explosions brouillonnes), réduite (fort heureusement pour nos rétines) à de brèves apparitions. Étrangement, ce qui finit par plomber Greenland n’est autre que l’étiquette qu’on lui prête.
Point de nomination aux Oscars en vue, mais force est de constater que Gerard Butler témoigne d’une aisance remarquable en père déterminé à braver les intempéries. Touchant, en esquivant un surjeu larmoyant, le comédien – associé systématiquement à sa performance spartiate chez Zack Snyder – remplit son rôle convenablement, jouant d’un balbutiement crédible et juste, distant du héros providentiel qu’il interprète régulièrement. Sa partenaire à l’écran n’a pas à rougir, alternant entre charisme froid et fragilité au gré des embûches, mère courageuse et infaillible. Morena Baccarin tient peut-être l’un de ses personnages les plus complets et maîtrisés. Ce couple charmant (bien qu’à la dérive) croise de solides seconds couteaux, de Scott Glenn (impeccable) à David Denman, apte à s’emparer d’une scène et d’en changer drastiquement le ton. Une distribution vectrice d’émotions brutes, dont le réalisateur exploite le plein potentiel.
Palpitant cortège vers la fin du monde, Greenland – Le dernier refuge n’accède jamais au grandiose de La Guerre des mondes – n’est pas Spielberg qui veut –, mais l’angle adopté ravira les aficionados de drames à grande ampleur. Formellement américain, usant de son budget modeste avec ingéniosité, le blockbuster de Ric Roman Waugh troque l’esbroufe du désastre pour la chronique d’une famille en reconstruction, en proie aux débordements des leurs.