Rick et Morty (Saison 4), science-fiction dégoulinante [Critique]

Les expéditions galactiques d’un grand-père alcoolique et de son petit-fils perturbent le petit écran depuis déjà sept années. Riches d’un succès critique et public remarquable, les personnages exubérants de Justin Roiland et Dan Harmon ont eu le temps de devenir de nouvelles icônes culturelles, assurant la promotion endiablée de la chaîne américaine Adult Swim, laquelle vient d’être dotée d’une quatrième saison.
Rick Sanchez, scientifique tant réputé que craint, est loin d’avoir vaincu son besoin de bouleverser planètes et civilisations. Morty, embarqué malgré lui dans les affaires spatiales de son parent, prend goût aux possibles qu’offre une telle vie. Le duo se livre à d’étranges aventures, aux confins de l’univers.
Basé sur un court-métrage parodiant Retour vers le futur, Rick et Morty a depuis acquis une certaine notoriété sur le terrain de l’animation télévisuelle. Trois saisons dégoulinantes de concepts improbablement imaginatifs, de diatribes hilarantes et d’escapades cosmiques délurées. Réussite attisant l’impatience des téléspectateurs, en attente depuis 2017. La famille Smith n’a rien perdu de sa folie, bravant incessamment les règles et normes de leur planète – et de toutes celles qu’elle foule. Roiland et Harmon livrent un gigantesque spectacle explosif et suintant, sublimement écœurant et futé, au point d’en oublier la dramaturgie sous-jacente, sel des sessions précédentes.
Jamais l’odyssée ne fut aussi grandiose qu’au cours des dix épisodes qui constituent la quatrième saison. À la vue de ces récentes itérations, l’intention de gigantisme se ressent au moindre décor, démesuré, grouillant de détails, reliefs et pièges déjoués sarcastiquement par le tandem éponyme. Rick et Morty ne s’était que rarement gêné de concevoir des systèmes entiers, des dimensions alternatives complexes et habitées par diverses races extraterrestres – prouesse que reproduisent ici les showrunners. Mais ces démonstrations, aux rouages astucieux, ne bénéficiaient d’une telle approche esthétique. L’incommensurable frappe naturellement les temples maudits et conventions grossières, tout comme il s’approprie l’intimité, source de blagues graveleuses. Ainsi, l’action la plus rudimentaire (et risible) peut s’en retrouver magnifiquement habillée. Le doré couvre bien des lieux, et emboutit le gluant – particule ici élémentaire. Les murs transpirent, les couloirs dégoulinent et les cuves se remplissent d’acide. Il est commun de croire, chez Roiland et Harmon, que les créatures bavent davantage qu’elles ne communiquent. En résulte une orgie de fluides, tentacules et orbites, bariolés de couleurs vives et de commentaires métaphysiques. Comme si le majestueux ne pouvait vivre sans être drapé de monstruosités gélatineuses.

La quatrième saison se suit telle une succession de péripéties éparses, renvoyant aux standards du programme télévisé d’une vingtaine de minutes, défilement d’histoires anthologiques. L’adulte névrosé et l’enfant timide s’élancent dans une suite d’actions hallucinée, guidés par leur désir de chaos et de création, ou cherchant péniblement à combler leurs drames respectifs. Le comique est fait roi, dicte la dizaine de chapitres. Sur le modèle des années précédentes, Rick et Morty met à contribution son univers foisonnant pour créer le sketch, aligner finement répliques et situations cocasses, pouvant renouveler son contexte, ses protagonistes et ses enjeux à l’infini. Les scénaristes se risquent à plier la cohérence, définissant eux-mêmes (et légitimement) les règles de leur imaginaire. Et si la série se complaît dans son apparat décousu, elle ne renie pas ses origines et en respecte les multiples concepts. Théories scientifiques, fantasmes de science-fiction : l’alliage de ces deux variables accorde au show une crédibilité de fond, tremplin pour l’amusement auquel s’adonnent les personnages. Dimensions parallèles et voyage dans le temps intègrent le périple, les showrunners saisissant leurs subtilités (parfois infimes) afin de travestir ces notions à leur guise. De surcroît, la série n’a strictement rien perdu de sa verve référencée. Les protagonistes usent du clin d’œil pour moquer, détruire idées reçues et scénarios cinématographiques. Au-delà de citer ouvertement les classiques du septième art (de Blade Runner à Star Wars, en passant par Terminator) et de la littérature, les protagonistes prennent un malin plaisir à saccager l’imaginaire collectif, empruntant les voies de la fantasy et du thriller futuriste pour souligner l’absurdité locale.
À ériger l’humour, Roiland et Harmon sacrifient la portée dramatique de leur show. La salve d’épisodes, imbibée du comique grinçant habituel, n’est guère équilibrée comme le furent les précédentes qui, subtilement, joignaient l’hystérie cosmique à la réflexion. En pointillé, Rick et Morty posait ses interrogations quasi-existentielles, explorait fièrement, exposait ingénieusement les failles humaines (ou non). La démarche manque ici cruellement. En de rares occasions, l’on reconnaît le trait lucide des créateurs, et l’intervention est savoureuse. Il faut néanmoins attendre l’ultime générique pour (enfin) ressentir l’écriture piquante et cynique, moteur des plus grandes épopées de la série. Le drame familial balayé – pourtant véritable sujet du programme –, les auteurs n’abandonnent leurs expérimentations narratives. Never Ricking Morty, point culminant de la quatrième saison, n’est autre qu’une ode à l’imagination, à l’intrigue – en plus d’être un opus désopilant. À travers ce sixième épisode, les deux hommes mêlent le culte de la fiction au jeu des réalités, jusqu’à ce que l’ensemble se mue en panorama fantasmagorique où il n’est plus question de briser le quatrième mur, mais le cinquième. En dépit de l’audace appliquée, assurément remarquable, Rick et Morty ne peut pleinement fonctionner si sa fructueuse formule n’est complète. L’équilibre rompu, les rebondissements perdent en pesanteur, gagnent en futilité. Il ne fait nul doute que le versant sinistre de la série resurgira à l’occasion de la cinquième saison, sur laquelle Justin Roiland et Dan Harmon travaillent déjà. De ce fait, Evil Morty devrait causer du tort au duo loufoque, permettant à Rick et Morty de recouvrer sa précieuse dramaturgie.
Le comique couronné, la quatrième saison de Rick et Morty a tout l’air d’une pause dévergondée, positionnée entre deux morceaux plus conséquents. Avant le retour (attendu, donc) du pan dramatique, le show multiplie frénétiquement les séquences farfelues, démontrant l’étendue de sa force humoristique. Suffisant pour assurer le divertissement et provoquer les hilarités, frustrant tout de même.