Rick et Morty (Saison 4), science-fiction dégoulinante [Critique]

Les personnages exubérants de Justin Roiland et Dan Harmon reviennent pour une quatrième saison et assoient leur statut de nouvelles icones pop-culturelles.
L’ordre des choses est bouleversé quand l’étrange génie Rick et son petit-fils Morty se lancent dans d’autres aventures interdimensionnelles défiant le temps et l’espace.
Basé sur un court-métrage parodiant Retour vers le futur, Rick et Morty a depuis acquis une certaine notoriété sur le terrain de l’animation télévisuelle au travers de trois saisons dégoulinantes de concepts imaginatifs, de diatribes hilarantes et d’escapades cosmiques. Une réussite attisant l’impatience des téléspectateurs, en attente de nouveaux épisodes depuis 2017. Enfin de retour pour une quatrième saison, la famille Smith n’a rien perdu de sa folie, bravant incessamment les règles et normes de leur planète – et de toutes celles qu’elle foule. Pour cette édition, les scénaristes Roiland et Harmon livrent un gigantesque spectacle explosif et suintant, sublimement écœurant et futé, si éruptif qu’il relaie le versant dramatique de la série au second plan.
Jamais l’odyssée ne fut aussi grandiose qu’au cours de ces dix nouveaux épisodes. Leur intention de gigantisme se ressent au moindre décor, démesuré, grouillant de détails, reliefs et pièges, alors déjoués sarcastiquement par le duo éponyme. Rick et Morty ne s’était que rarement gêné de concevoir des systèmes entiers, des dimensions alternatives complexes et habitées par diverses races extraterrestres – prouesse que reproduisent ici les showrunners – mais ces démonstrations, aux rouages astucieux, ne bénéficiaient d’une telle approche esthétique. L’incommensurable frappe naturellement les temples maudits et conventions grossières, tout comme il touche à l’intimité des personnages, source de blagues graveleuses. Ainsi, l’action la plus rudimentaire (et risible) peut s’en retrouver magnifiquement habillée. Les murs transpirent, les couloirs dégoulinent et les cuves se remplissent d’acide. Chez Roiland et Harmon, les créatures croisées bavent davantage qu’elles ne communiquent. En résulte une orgie de fluides, tentacules et orbites, bariolés de couleurs vives et de commentaires métaphysiques. Comme si le majestueux ne pouvait exister sans être drapé de monstruosités gélatineuses.

La quatrième saison se suit telle une succession de péripéties éparses, renvoyant aux standards du programme télévisé d’une vingtaine de minutes, proprement anthologique. Le comique est ici fait roi, dicte la dizaine de chapitres. Sur le modèle des années précédentes, Rick et Morty met à contribution son univers foisonnant pour créer le sketch, aligner finement répliques et situations cocasses, pouvant renouveler son contexte, ses protagonistes et ses enjeux à l’infini. Les showrunners se risquent à plier la cohérence, définissant eux-mêmes (et légitimement) les règles de leur imaginaire. Et si la série se complaît dans son apparat décousu, elle ne renie pas ses origines et en respecte les multiples concepts. Théorie scientifique et fantasme de science-fiction : l’alliage de ces deux variables accorde au show animé une crédibilité de fond, tremplin pour l’amusement auquel s’adonnent les personnages. Dimensions parallèles et voyage dans le temps intègrent le périple, les auteurs saisissant leurs subtilités (parfois infimes) afin de travestir ces notions à leur guise. De surcroît, la série n’a strictement rien perdu de sa verve référencée. Les protagonistes usent du clin d’œil pour moquer, détruire idées reçues et scénarios cinématographiques. Au-delà de citer ouvertement les classiques du septième art (de Blade Runner à Star Wars, en passant par Terminator) et de la littérature, les protagonistes prennent un malin plaisir à saccager l’imaginaire collectif, empruntant les voies de la fantasy et du thriller futuriste.
Roiland et Harmon sacrifient toutefois la portée dramatique de leur show. La salve d’épisodes, imbibée du comique grinçant habituel, n’est guère aussi bien équilibrée que les précédentes qui, subtilement, joignaient l’hystérie cosmique à la réflexion introspective. En pointillé, Rick et Morty posait ses interrogations quasi-existentielles, explorait fièrement, exposait ingénieusement les failles humaines (ou non). La démarche manque ici cruellement. En de rares occasions, l’on reconnaît le trait lucide des créateurs, et l’intervention est savoureuse. Il faut néanmoins attendre l’ultime générique pour (enfin) ressentir l’écriture piquante et cynique, moteur des plus grandes épopées de la série. Le drame familial balayé – pourtant véritable sujet du programme –, les auteurs n’abandonnent leurs expérimentations narratives. Never Ricking Morty, point culminant de la quatrième saison, n’est autre qu’une ode à l’imagination, à l’intrigue – en plus d’être un opus désopilant. À travers ce sixième épisode, les deux hommes mêlent le culte de la fiction au jeu des réalités, jusqu’à ce que l’ensemble se mue en panorama fantasmagorique où il n’est plus question de briser le quatrième mur, mais le cinquième. En dépit de son ambition permanente, Rick et Morty ne peut pleinement fonctionner si sa formule n’est complète : en rompant l’équilibre, les rebondissements perdent en pesanteur. De facto, la quatrième saison de Rick et Morty a tout l’air d’une pause dévergondée, positionnée entre deux morceaux plus conséquents. Avant le retour (attendu, donc) du pan dramatique, le show multiplie frénétiquement les séquences farfelues, démontrant l’étendue de sa force humoristique. Suffisant pour assurer le divertissement et provoquer les hilarités, frustrant tout de même.