Star Wars : Épisode IX – L’Ascension de Skywalker, conclusion déconcertante [Critique]

Il y a quarante-deux ans, George Lucas ouvrait les portes de son imaginaire à des millions de spectateurs avec un film qui devint référence et altérera la face du cinéma de divertissement à jamais. Depuis, ce n’est pas moins d’une dizaine de suites et spin-offs qui ont vu le jour, jusqu’à aujourd’hui, date du dernier opus de la saga Skywalker. La conclusion tant attendue d’un mythe.
Un sinistre message traverse la galaxie. L’Empereur Palpatine serait de retour, et avec lui une immense et redoutable armée. Face à cet écho terrifiant, la Résistance et le Premier Ordre livrent leur ultime bataille, déterminant l’avenir de la galaxie.
Déjà dirigé par J. J. Abrams, Le Révéil de la Force se complaisait dans l’adulation des figures passées, remake à peine dissimulé du film originel baignant dans une nostalgie totalement assumée. Sa suite entreprit un tout autre chemin, celui du renouvellement. Ses héros clamaient rompre avec le passé et se détourner des trajectoires entamées par le chapitre précédent. Deux films pour deux visions antinomiques. Dès lors, le poids de la cohérence pesait lourdement sur L’Ascension de Skywalker, missionné de raccorder les wagons, tuer les zones d’ombre et, surtout, mettre un terme à la plus grosse machine hollywoodienne de tous les temps. C’est sous le joug d’un cahier des charges archi-complet, donc, que débarque le neuvième épisode de la saga, pensé comme un long-métrage de six heures narré en vitesse-lumière. Si les intentions se perçoivent clairement, que les thématiques germent convenablement, que les scènes d’action – particule fondamentale à ce genre de productions – ne manquent à l’appel, tout défile à une allure déstabilisante. Comme si Abrams essayait de forger sa propre série en un seul volet, dans l’espoir de combler les multiples attentes du grand public. Bien essayé.
Le motif des prolongations, après The Last Jedi qui concluait (ou presque) les arcs récemment entamés, n’est autre que le retour de l’Empereur Palpatine, miraculeusement sorti de la tombe, à la tête d’un Empire mystérieux, caché de tous. Stupéfaction globale. Le prétexte en dit malheureusement long sur le développement de la trilogie orchestrée par Disney : le blockbuster s’est construit dans la précipitation et sans la moindre préparation. Pas un indice n’annonçait un rebondissement si conséquent, aucune piste ne fut établie pour entrevoir les enjeux de L’Ascension de Skywalker, rédigé en urgence par un cinéaste visiblement désarçonné.
La faute n’est pas à jeter (bien qu’on puisse spontanément l’envisager) sur le réalisateur de l’Episode VIII, qui osait se détourner du regard nostalgique que Disney apposait sur Star Wars. Ses partis pris concernant Snoke, la représentation de la Force ou Leia étaient surprenants – peut-être déconcertants – mais ils découlaient d’une logique et d’un amour profond pour la saga (et ses fondamentaux). Une vision que ne partage pas l’homme derrière le reboot convaincant de Star Trek, qui retourne à sa contemplation et ses jouets, sous prétexte de « boucler la boucle ». En exemple parfait, les fameux Chevaliers de Ren, objets de fascination et d’interrogations pour de nombreux spectateurs, que Rian Johnson avait trouvé judicieux d’écarter du récit. Le groupuscule revient à la surprise générale, entourant leur maître Kylo Ren dès l’ouverture du film. Aussi impressionnants soient-ils, ces individus ne sont guère plus que de belles coquilles vides, ne bénéficiant d’aucun développement. Ils se tiennent droits dans leurs armures obscures, patientent jusqu’au combat final. Un échec évocateur, car représentatif du processus de création.

En deux heures et demie, Abrams pousse ses focales à la surchauffe. Les péripéties se succèdent à une cadence éprouvante, sans laisser le moindre répit à l’audience qui pourrait se réjouir des planètes inédites, des décors charmants et personnages flambant neufs. Un rythme aussi élevé ne conduit pas seulement à l’overdose d’informations, qu’il faut tout de même gober pour saisir les enjeux : elle nuit également à l’émotion, facteur censé se trouver au cœur du projet. Voilà la grande conclusion d’une légende vieille de quatre décennies, histoire aussi passionnante qu’universelle, qui aura eu le mérite d’agiter l’imaginaire de générations entières. Quelle tristesse de constater que les artifices mis en place pour émouvoir suintent la facticité, que toute charge dramatique est immédiatement désamorcée. Un personnage blessé, un drame jugé irréversible ou même la mort : plus rien ne compte, car tout se déjoue. Ces adieux manquent cruellement de cran.
Heureusement pour nos yeux, J. J. Abrams sait manier son matériel. Le réalisateur balade ses objectifs dans tous les sens, à l’aide de ses ingénieux travellings. Par ce procédé, qui vise à propulser le spectateur au cœur de l’action, L’Ascension de Skywalker jouit d’une mise en scène énergique et donc adaptée, en plus d’être particulièrement immersive. Sa tendance à s’éloigner des protagonistes lorsqu’ils se livrent bataille rend la confrontation moins percutante, mais l’erreur se comble par le soin porté aux décors, délibérément gigantesques. Ces espaces aux proportions dantesques confèrent au long-métrage des possibilités photographiques extraordinaires. Les explosions de couleurs sur Pasaana, le vacarme des vagues sur Kef Bir et l’obscurité d’Exegol contribuent à la flamboyance de l’univers conçu par George Lucas. Du fait d’un montage saccadé, profiter pleinement des cadres est un plaisir éphémère, mais il est indéniable que le film arbore des visuels peu communs. D’autant plus quand ils sont étoffés d’effets spéciaux impeccables.
Le chemin des protagonistes, variable selon les opus, permet à l’Episode IX de cultiver plusieurs qualités sur lesquelles il repose solidement, à commencer par la dynamique de groupe qu’entretienne les héros. Les interactions entre Rey, Finn et Poe – à qui l’on accorde enfin un peu de consistance – sont crédibles, sans supplanter le charisme candide du trio original, bien plus en retrait ici pour mieux laisser la place à cette nouvelle génération. Il n’est pas ridicule de féliciter le traitement de Ben « Kylo Ren » Solo et Rey, figures tourmentées et séduisantes de cette trilogie. Unis par la force et une question commune (concernant leur place respective dans ce vaste univers), le petit-fils de Vador et l’ex-pilleuse d’épaves ont vu leur relation gagner en densité au fil des épisodes. Campés par Adam Driver (toujours bluffant) et Daisy Ridley, tous deux extrêmement investis, le tandem reste le meilleur ingrédient du dernier opus, car le plus complexe et élaboré.
À la suite de ce grand spectacle, que J. J. Abrams anime avec ferveur, l’amertume culmine. Le Réveil de la Force, Les Derniers Jedi et L’Ascension de Skywalker, trois propositions de cinéma prometteuses mais qui ensemble composent une trilogie difforme et schizophrène. Pourtant désigné comme le réalisateur idéal pour poursuivre les aventures de Luke Skywalker, le choix d’Abrams sonne comme une déception. Ses choix (et ceux imposés par Disney), sa vision étonnante de la saga (la Force comme un super-pouvoir, notamment) et probablement son ego ont eu raison de cette conclusion, dramatique pour les mauvaises raisons. « Plutôt embrasser un wookie ».