Indiana Jones et le Cadran de la destinée, coup de vieux [Critique]

Le plus célèbre des archéologues part une dernière fois à l’aventure dans un blockbuster nostalgique, plombé par son usage outrancier du numérique mais touchant pour son rapport à l’âge.
Le professeur Jones est sur le point de prendre sa retraite quand il reçoit la visite de sa filleule Helena Shaw, à la recherche d’un artefact rare : le fameux cadran d’Archimède.
On s’étonnerait presque que Disney n’ait pas sorti Henry Jones Jr. de sa retraite plus tôt, compte tenu de la rigueur avec laquelle la firme aux grandes oreilles a industrialisé tout ce qui touche à Lucasfilm – des programmes tirés de l’univers Star Wars jusqu’à la récente série télévisée Willow. Cette fois-ci, pas de Steven Spielberg ni de George Lucas pour sortir le plus célèbre des archéologues du formol, suite à un quatrième volet de mauvais goût, mais un James Mangold résolu à s’attacher à toutes les franchises de divertissement, après avoir squatté la saga X-Men et s’être porté volontaire pour adapter les comics Swamp Thing chez Warner Bros. En attendant de copiner avec James Gunn, le réalisateur de Walk the Line endosse la responsabilité d’un cinquième opus sous forme de conclusion nostalgique, près de quarante ans après Les Aventuriers de l’arche perdue. Le temps a son importance. D’abord car il est l’obsession des personnages, et principalement des méchants (nazis, encore) cherchant à remanier l’Histoire au moyen d’un artefact disparu. Ensuite car il est celle du metteur en scène, qui filme ses héros à travers une horloge et honore leur âge grâce à quelques bidouilles en images de synthèse. L’aventure s’ouvre ainsi sur un flashback conséquent, planté pendant la Seconde Guerre mondiale, où le professeur-baroudeur Jones croise ses futurs ennemis et l’objet de leur course, mais surtout apparaît rajeuni numériquement. Un exploit technique nous ramenant au Indiana Jones de La Dernière Croisade, sourire en coin et corps agile, le visage encore peu marqué. Le trucage fait son petit effet, particulièrement lorsque Le Cadran de la destinée se reconnecte à son intrigue du présent, en 1969. Le héros se prépare désormais pour son dernier jour avant la retraite, vit seul dans son appartement new-yorkais et n’attend plus grand-chose de la vie, si ce n’est un peu de tranquillité. Le contraste est douloureux, et la plus charmante idée du film est là, quand celui-ci capte les symptômes de la vieillesse et les restitue par des procédés simples, comme un court plan sur le torse octogénaire d’Harrison Ford.
Indiana Jones et le Cadran de la destinée est également un blockbuster sur la jeunesse, flamboyante ou disparue, représentée par une Phoebe Waller-Bridge survoltée. L’auteure de Fleabag, ici filleule de l’aventurier, vient secouer le vieil arbre qu’est devenu son parrain en irradiant cet ultime tour de piste de son verbe vif, de ses manigances de revendeuse, de son énergie rafraîchissante, avec une malice dans les yeux contrariant la bougonnerie héréditaire des Jones. Dommage que tout cela ait lieu au cours d’une kermesse numérique dans la veine du Royaume du crâne de cristal, pour lequel Spielberg avait revu la forme de la saga. C’est précisément ce que s’était refusé à faire James Mangold avec Logan, autre blockbuster de super-vieillards qui en fit le candidat parfait pour cette excursion finale. Aride, westernien et crépusculaire, le film Marvel œuvrait aussi dans un minimalisme savoureux puisque à contre-courant des grosses productions hollywoodiennes. Le cinquième Indiana Jones, lui, coche toutes les cases du divertissement Disney : fonds verts ratés, séquences d’action illisibles, raccourcis fumeux et caméos forcés. L’échec de Mangold, qui avait pourtant minutieusement agencé les rodéos automobiles de Ford vs Ferrari, ne fait que certifier la suprématie de Steven Spielberg, le roi des blockbusters, qui avec le premier Indiana Jones avait rédigé la charte du film d’aventure moderne sans qu’aucun autre cinéaste ne le surclasse ensuite, et qui manque ici terriblement derrière les focales. Le Cadran de la destinée se laisse bien aller à deux ou trois travellings dynamiques, et certains de ses panoramas évoquent le grandiose d’antan, mais cette conclusion (définitive, aux dernières nouvelles) est loin de renouer avec l’excellence de la trilogie, privée de son découpage astucieux des scènes et de son rythme comique légendaire. Reste que son dernier acte, ambitieux si ce n’est périlleux, offre à son protagoniste une fin cohérente à ses activités de chasseurs de trésors – et d’amoureux des antiquités – qui, en l’état, alimente l’un des enjeux substantiels de la franchise : l’émerveillement.