Spider-Man : Across the Spider-Verse, le fil du succès [Critique]

La suite de New Generation réitère ses exploits esthétiques et poursuit admirablement son étude de la mythologie Spider-Man.
Après avoir retrouvé Gwen Stacy, sa super-amie d’une autre dimension, Miles Morales est catapulté à travers le multivers. Il rencontre une équipe de super-héros missionnée d’en protéger l’existence.
Spider-Man : New Generation était un film d’anomalies. Son histoire partait d’ailleurs de là, d’une erreur dans le multivers rameutant des versions alternatives de Spider-Man au sein du New-York cosmopolite de nos jours. La place même du long-métrage dans le paysage des adaptations de comics faisait tiquer, dressé à l’opposée des monstrueux Justice League et Avengers en niant s’attacher à d’autres noms de super-héros et (surtout) en exploitant un champ laissé vierge par les gros studios qui font sa concurrence : l’animation. Là encore singulièrement, puisque New Generation adoptait un graphisme détonant, mélange de rotoscopie, d’images de synthèses, d’aberrations chromatiques et de dessins manga, sur lesquels se greffent des bulles et onomatopées comparables à celles des planches de bandes-dessinées. Un ravissant brassage de textures qui confirmait, davantage que dans le texte, le choc des dimensions. Sa suite jouit du même écrin. Ses traits semblent même s’être précisés pour que, paradoxalement, leurs fluctuations soient encore plus imprévisibles, immersives et impressionnantes. Across the Spider-Verse réitère l’exploit esthétique, alors, en repoussant à peu près toutes les limites de son aîné. Là est son ambition initiale : transcender les frontières, les dimensions, les possibles du medium cinématographique, en trouvant le parfait point d’équilibre entre l’impression sur papier, les coupes du montage et le mouvement numérique. Transcender, toujours. Car ce Spider-Man cherche également à s’accaparer la mythologie de l’homme-araignée pour en revaloriser les fondements, en saisir le sens et la portée. L’épisode précédent basait sa réflexion sur l’incarnation du héros – n’importe qui peut se trouver sous le masque du bien –, celui-ci se réfère à l’universalité de son récit, à l’essentialité de son chemin initiatique, copié et recopié, tourné parfois en parodie, jusqu’à ce que le scénario lui file un goût de malédiction. Across the Spider-Verse compte ensuite sur une palanquée de twists malins et sur l’optimisme de son protagoniste (un Miles Morales ayant apprivoisé ses capacités surnaturelles) pour pondérer la tragédie de son scénario.
Point de hasards vaguement rigolos façon Spider-Man : No Way Home dans cet opus : ici, l’union des hommes-araignées soulève avant tout le caractère fataliste de leur destin commun. Au-delà de leur bravoure irréfrénable, les tisseurs accordent leurs toiles autour de galères quotidiennes, de secrets accablants et de sacrifices perpétuels, comme condamnés par les célèbres mots de l’oncle Ben quant aux pouvoirs et responsabilités analogues. Across the Spider-Verse se sert de l’adage culte pour dresser le portrait de personnages passionnants, telle la pétillante Spider-Gwen (la vraie héroïne de cette escapade multidimensionnelle, gratifiée d’une magnifique scène d’introduction aux couleurs pastels), ou renforcer leur entourage. La figure parentale est spécialement à l’honneur dans ce deuxième volet, plus seulement dépeinte comme le fardeau ambulant des super-héros, personnification d’une vie privée difficile à entretenir, mais croquée avec soin et dont la progression pèse émotionnellement sur l’intrigue. Autour, les compositions électroniques de Daniel Pemberton décuplent l’effet grisant des scènes de voltiges (aériennes ou sentimentales) autant qu’elles s’incorporent à merveille aux expérimentations visuelles qui jalonnent le long-métrage. La virtuosité de ses mouvements, fluides et d’une lisibilité totale, sa cinégénie de tous les instants, comme son désir palpable de renouveler continuellement son langage graphique, font de ce blockbuster animé un pur manège à sensations, un divertissement bouillonnant, plein à craquer de références pop-culturelles ou méta – souvent les deux à la fois. L’on pourrait néanmoins lui reprocher son cliffhanger poussif et ses pistes avortées, rappelant que cette suite n’est que la première partie d’un diptyque. Il reste en effet à Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson (les trois artisans aux commandes) la lourde tâche de refermer décemment l’odyssée Spider-Verse et de compléter la figure ambiguë de Miguel O’Hara, Spider-Man du futur et antagoniste du jour, dont la position de méchant-gentil subjugue.